Offense à un personnage imaginaire
Il est toujours surprenant de voir que des associations, par exemple religieuses, s’estiment autorisées à porter plainte en vertu d’un droit qu’elles se sont à elles-mêmes attribué ; ainsi, lorsque des associations catholiques attaquent en justice l’auteur d’un film comme Je vous salue Marie (Jean-Luc Godard) ou Amen. (Costa-Gavras, et il y a bien un point à la fin du titre, ce n’est pas une faute de frappe), parce que l’affiche de ce film ne leur plaît pas. Or, dans la totalité des cas, le personnage religieux prétendument offensé n’a jamais existé, ou son existence est douteuse, et, comble du ridicule, on ne sait pas du tout à quoi il ressemblait. Mais soyons concret.
Si je fais fabriquer une affiche représentant défavorablement un personnage que la croyance courante identifie à Jésus, je ne représente pas et n’offense pas Jésus lui-même, puisqu’on n’a aucun portrait, aucune description de lui, et que bien malin serait celui qui pourrait dire à quoi il ressemblait en réalité. En fait, pour associer à Jésus le personnage que je fais représenter sur « mon » affiche, le bon peuple indigné ne se base que sur des peintures, souvent faites à la Renaissance (mais il y en a eu d’autres, plus anciennes), et qu’un artiste a inventées de toutes pièces, en suivant les goûts esthétiques de son époque, et dont on croit, bien à tort, qu’elles sont « ressemblantes » et peuvent valider une identification. Qui peut prouver que Jésus n’était pas un petit gros, avec le teint fortement basané, des cheveux crêpus et les oreilles décollées ? Même le prétendu saint suaire de Turin montre un visage de Jésus qui est dans le style de l’époque où cette pièce de tissu peint a été découverte. Sachant cela, stricto sensu, on ne peut prouver devant un tribunal que mon affiche représentait Jésus, et donc, si elle semble offensante à certains, c’est purement subjectif. Un fantasme, en quelque sorte. Et je n’ai offensé personne ! Seule ma « victime » aurait le droit de réclamer, le cas échéant, mais elle n’est pas là pour le faire.
Qui donc peut le faire à sa place ?
En toute logique, un tribunal est chargé de sanctionner les manquements aux lois qui protègent la société, pas les entités qui se sont autoproclamées détentrices des intérêts de personnages disparus ou imaginaires. Si on oublie ce principe évident, demain, on me poursuivra pour avoir dit du mal de Tarzan ou de John Silver, le pirate unijambiste de L’île au trésor.