Pitié pour Michel Mercier !
Ce matin, j’ai été pris d’une immense pitié. Or l’objet de ma pitié, avouez que ce n’est pas courant, est un adversaire politique ; en l’occurrence, un ministre, celui de la Justice, Michel Mercier.
Figurez-vous que le pauvre a été envoyé au casse-pipes sur France Inter, par son sadique de patron, pour y défendre une mesure qu’il sait (le ministre, pas son patron) complètement idiote et démagogique. En effet, si elle est jamais appliquée, il faudra que les tribunaux correctionnels aient désormais un jury, alors qu’il n’y a de jury qu’en cour d’assises.
Pour une fois, c’est très simple : cette innovation est inapplicable, et tout le monde peut le comprendre.
La mesure est démagogique, car on veut faire semblant de croire que le peuple va ainsi « participer » aux décisions de justice ; et même, qu’il le souhaite ardemment. D’où cette déclaration du ministre, qu’on aurait plutôt dû faire dire par un acteur de la Comédie-Française : « Les Français, dans leur grande majorité, manifestent leur désir de cette réforme ». Personnellement, on ne m’a rien demandé, et si on l’avait fait, j’aurais plutôt hurlé que je n’en voulais à aucun prix, mais passons.
La mesure est idiote, pour deux raisons. La première est qu’en cour d’assises, les jurés ne reçoivent aucun dossier sur l’affaire qu’ils ont à juger, et qu’ils doivent se faire une opinion (une « intime conviction », dit la loi) en écoutant les débats. Bref, le quidam le plus ignorant peut être juré s’il est tiré au sort. En correctionnelle, les affaires à juger sont souvent techniques, et les juges sont des techniciens de la spécialité en question. La preuve, les chambres sont spécialisées : ainsi la dix-septième chambre ne juge que les affaires de presse. Or, allez donc demander à des jurés de se « spécialiser » avant de venir siéger ! On va leur donner des cours du soir avant le procès, peut-être ? L’autre raison qui rend impossible l’existence d’un jury en correctionnelle, c’est... l’arithmétique ! Les affaires jugées en cour d’assises en présence d’un jury, qui sont en majorité des crimes, sont assez rares, car nous ne sommes pas aux États-Unis où l’on tue comme on boit un verre d’eau ; en revanche, les affaires jugées en correctionnelle sont des délits, et on en compte environ quarante mille par an chez nous. Où va-t-on trouver assez de citoyens pour constituer quarante mille jurys ? En outre, les audiences sont plutôt courtes. Va-t-on déranger des centaines de milliers de personnes pour siéger un seul après-midi, voire une petite heure ?