« Polar » ?
Guy Carlier n’est plus à France Inter pour qualifier de « gourdasses » les péronelles qui pérorent sur tout et n’importe quoi dans un français appoximatif. Souvent, on le regrette (pas Guy Carlier, mais qu’il ne soit plus là). Ce matin, je distinguerai une certaine Jacqueline Petroz qui, sur cette même radio, place le dimanche à 8 heures moins cinq une chronique littéraire. Ce matin, elle présentait trois romans d’auteurs nordiques, trois femmes, occasion rêvée pour nous resservir la célèbre ineptie consensuelle « une auteure », qui fait certainement vos délices, ô mes millions de lecteurs.
À propos du deuxième de ces livres, un roman policier, Horreur boréale, d’UN auteur suédois nommé Asa Larsson, elle commente : « Ce polar est une régalade ». Déjà, confondre un régal avec une régalade, ça me régale... Eh bien, et depuis longtemps cela me démangeait de le faire remarquer, qualifier de « polar » un roman policier, c’est faire preuve, soit d’ignorance, soit de mépris. Un polar, c’est un roman de quatre sous, comme il s’en vendait naguère dans les gares : au moment de prendre le train, on en choisissait un sur un éventaire du kiosque, un peu au hasard, pour son titre accrocheur ou pour sa couverture aguichante, on le lisait en route, et on le jetait à l’arrivée. Tout le monde connaît l’anecdote (que je soupçonne d’être un peu bidon, car il mentait comme un arracheur de dents) d’Orson Welles convainquant un producteur, par téléphone, de financer un projet de film qu’il prétendait avoir en tête : comme son interlocuteur lui demandait le titre du film qu’il prévoyait, et comme il n’avait en réalité aucun projet, il cita celui d’un roman qu’il voyait à un étalage, depuis sa cabine téléphonique dans une gare, et répondit que c’était La dame de Shangaï. Coincé, puisque le producteur accepta, il dut ensuite réaliser un film policier portant ce titre, dont il écrivit le scénario, avec trois collaborateurs tout de même, et... n’ayant rien à voir avec le livre qu’il avait cité et qu’il ne lut jamais ! Bref, un bon roman policier ne peut pas être un polar, et nul n’aurait l’idée, par exemple, d’insulter Arnaldur Indriðason en qualifiant ainsi un de ses onze chefs-d’œuvre policiers (que je vous recommande, soit dit en passant). Et, toujours soit dit en passant, si un olibrius veut s’amuser à qualifier de « polar » le film de Welles, autre chef d’œuvre, je me déplacerai spécialement pour lui frotter les oreilles (à l’olibrius, pas à Welles).
Cette manie de qualifier de polar les romans ou les films policiers – qui ne constituent pas « un genre mineur » – en les dévalorisant est assez récente. Elle procède du même système de pensée qui fait qualifier de maton un gardien de prison, ou de flic un policier. C’est-à-dire qu’on met de l’argot partout, et de préférence méprisant. Justement ce que faisait Carlier avec ce terme de gourdasses qu’il appliquait sans arrêt à de pauvres filles n’ayant que le tort de ne pas posséder sa culture.