Réhabilitons Néron
Si je suis souvent tenté de déboulonner quelques personnages que tout le monde révère – et je ne m’en prive pas –, il m’arrive aussi de vouloir prendre la défense de certains autres, qu’on accuse injustement de tous les maux. Je vous parlerai peut-être un jour de Richard III, bêtement accusé d’avoir tué les enfants de son frère Édouard pour leur voler le trône d’Angleterre (c’est idiot, il était roi avant leur mort), et qui doit l’essentiel de son exécrable réputation à Shakespeare. Mais un autre souverain a été autant accablé de griefs imaginaires, et c’est Néron. Voyez Racine dans son Britannicus : « Et ton nom paraîtra, dans la race future, / Aux plus cruels tyrans une cruelle injure ». Ridicule.
Il faut tout de même se souvenir que Néron, plus que n’importe quel autre empereur, fut regretté du peuple après son suicide par personne interposée, au point que de faux Néron ont été acclamés en Asie et en Grèce, et qu’à Rome, sa tombe fut longtemps couverte de fleurs. Néron était intelligent, cultivé, amateur de poésie et de théâtre, et il gouvernait bien. Notamment, il adoucit le sort des esclaves, introduisit davantage de justice dans les lois sur les affranchis et les débiteurs, et voulait réformer le système fiscal, ce qui lui valut la détestation du Sénat et des mémorialistes de l’époque, qu’il ne faudrait pas prendre pour de vrais historiens : tous alliés à l’aristocratie, ils l’ont chargé tant qu’ils ont pu, notamment Suétone dans sa Vie des douze Césars.
On l’a donc accusé de tous les crimes, comme d’avoir fait empoisonner son demi-frère Britannicus, et au cours d’un banquet public (la science moderne a réfuté l’hypothèse, puisque les symptômes de ce garçon de treize ans, juste avant sa mort, ne correspondent à aucun poison ; en fait, il est mort d’épilepsie, et Néron... n’était pas stupide à ce point), d’avoir fait assassiner sa mère Agrippine (mais c’est elle qui avait tenté de l’envoyer dans l’autre monde pour s’emparer du pouvoir), et surtout, d’avoir mis le feu à Rome, et d’avoir contemplé l’incendie en composant une chanson.
Plus personne ne croit à cette fadaise. Au moment de l’incendie, c’est prouvé, Néron ne se trouvait pas à Rome, mais à Antium, à 60 kilomètres de là, dans une de ses villas, et il est revenu dans sa capitale après le début de la catastrophe. Mais pourquoi aurait-il fait incendier une ville qu’il avait passé des années à embellir, et cela, au risque de détruire son propre palais, en pleine ville, la Maison Dorée, qui... brûla en effet, et dont il ouvrit les jardins à ceux qui avaient tout perdu ?! En outre, par le port d’Ostie, il fit venir des vivres depuis les autres provinces de l’empire.
On aimerait être gouvernés par un Néron moderne.