Sachez causer modernement
Mon niveau intellectuel est très bas. Que voulez-vous, de même que je vais jamais au coiffeur, j’suis pas été au lycée. Ça explique que, non seulement je ne parle pas le jargon à la mode, mais que, pis que cela, je ne le comprends pas.
Conséquence : je m’en tiens, pour me faire comprendre, à la demi-douzaine de mots que j’ai retenus et qui me permettent de baragouiner. Mais je me rends bien compte de mon retard. Par exemple, je ne me suis jamais habitué à dire « un sans-papier » pour désigner un clandestin. Il paraît que ça me ferme les portes des partis de gauche et de Josiane Balasko, pour mon malheur. De même, il ne me viendrait pas à l’esprit de qualifier de « sans domicile fixe », qui n’est qu’une expression administrative dont la poésie ne vous échappe pas, un malheureux que la dèche force à dormir dans la rue. Quant à ma concierge, qui dit être d’accord avec moi sur ce point, je sens qu’elle rigolerait bien si je l’appelais « Madame la gardienne d’immeuble ». Je ne me suis jamais fait à la mode de qualifier un instituteur de « professeur des écoles », ou un surveillant général, de « conseiller d’éducation » (un condé à la place d’un surgé, en somme), et mon coiffeur, si j’en avais un, ne serait en aucun cas promu par mes soins « artiste capilliculteur », comme dans les beaux quartiers.
Mais au plus haut de l’État, ces manies langagières font des ravages. En 2013, un rapport officiel intitulé Refonder la politique d’intégration faisait disparaître le mot nation, qui doit être devenu aussi obscène que père et mère (il n’y a plus que des papas et des mamans), au profit de l’expression « communauté politique plurielle », tout comme Jospin avait inventé la « gauche plurielle », mais pour d’autres fins que la promotion du charabia – sans quoi sa femme y aurait mis le hola en brandissant le rouleau à pâtisserie. Figurez-vous que cette communauté politique plurielle serait caractérisée par « des identités diverses et hétérogènes », mais qu’elle serait « néanmoins capable de s’identifier positivement à un Nous. Ce que nous nommerons un Nous inclusif et solidaire ».
C’est clair, non ? Soyons inclusifs et solidaires, et identifions-nous positivement à un Nous. Sans cela, nous serons mis au ban de la nation... pardon : de la communauté politique plurielle.