Traders, sachez augmenter votre bonus
Le procès de Jérôme Kerviel, dont nous attendons tous impatiemment le verdict, nous fournit l’occasion (les cons à l’esprit torturé disent « l’opportunité ») de donner quelques précisions sur ce métier merveilleux qu’est celui des traders, moins aéré mais davantage payant que celui des footballeurs dont j’ai dû vous parler un jour avec enthousiasme et dévotion. Mais d’abord, sachez que c’est un métier de chien. Un trader doit être à son poste chaque jour ouvrable à 7 heures du matin, et il en décolle rarement avant 10 heures du soir, pour la bonne raison qu’il y a toujours de par la planète une place boursière ouverte et des transactions en cours. Sa journée se passe à surveiller une demi-douzaine d’écrans en même temps, de quoi lui coller un strabisme sartrien, et à téléphoner à des gogos, qu’on appelle « client » dans le jargon de la profession, pour les convaincre d’acheter telle ou telle action que vous ne recommanderiez même pas à votre belle-mère. Bref, on ne souffle un peu que le week-end, quand toutes les bourses du monde sont fermées. Ça fait envie...
Le trader perçoit un salaire confortable, mais qui n’est rien comparé au bonus. Le bonus est une prime de fin d’année, accordée par le patron de la banque, selon des critères qui n’existent que dans sa tête, à supposer qu’ils existent, et qui, de toute façon, restent secrets. Le but de toute l’existence du trader est donc de décrocher le bonus le plus élevé possible, en dépit du fait qu’il soit bien incapable, ensuite, d’en profiter intelligemment.
Par conséquent, comment obtenir le bonus le plus élevé possible ? Il existe plusieurs méthodes, mais je vais me contenter d’en décrire une, et brièvement.
La plus évidente, la plus simple à mettre en œuvre, celle qui vous coûtera le moins d’efforts si vous êtes trader, c’est de ne JAMAIS paraître satisfait de votre dernier bonus. Il faut comprendre le patron : si vous sortez de son bureau, votre chèque de bonus en poche, avec un large sourire sur le visage, il ne manquera pas de se dire que, puisque vous êtes si satisfait de ce qu’il vous a attribué, il est inutile de vous donner davantage l’an prochain. Il va peut-être diminuer votre prime, qui sait ? Donc, après avoir reçu votre enveloppe et jeté un coup d’œil sur le montant, il est impératif de FAIRE LA GUEULE, de remercier froidement, de sortir (sans claquer la porte tout de même), et, sitôt dans l’antichambre, de casser quelque chose, pourvu que ce soit bruyamment. Ce que vous voudrez : un cendrier, un écran d’ordinateur, la gueule d’un collègue hilare si vous en trouvez un qui ne connaisse pas encore le truc, l’essentiel étant que ça se sache dans tout l’étage. Certes, je ne dis pas que cela flanquera des remords au patron, mais ce procédé, peu déterminant en matière de résultat, doit néanmoins être appliqué chaque année. C’est un peu comme les assurances.
Bien entendu, un métier aussi sophistiqué réserve d’autres méthodes permettant d’être mieux rétribué. Je vous en parlerai peut-être un autre jour. Là, je n’ai pas le temps, mon dealer... pardon, mon trader habituel vient de m’appeler au téléphone. Si je ne lui réponds pas rapidement, il va se vexer, donc ne voudra plus de moi comme client.