Une voix d’outre-tombe
Comme les radio-télés diffusent toutes les mêmes choses aux mêmes jours, vous allez entendre aujourd’hui, et jusqu’à plus soif, le célèbre discours de Martin Luther King I have a dream, dont la version que vous ouïrez date de cinquante ans exactement. Non pas que le pasteur l’ait prononcé seulement ce jour-là ! En fait, il le répétait partout et en toutes occasions (c’était son tube, en somme, un peu comme Annie Cordy ressortait chaque fois son Tata Yoyo, Elvis Presley Don’t be cruel, ou Line Renaud Ma cabane au Canada, les jours où ce n’était pas Ma p’tite folie). Simplement, il y a cinquante ans, ce discours, il l’avait fait à Washington.
Eh bien, ne reculant devant aucun exploit, je vous propose d’écouter un autre enregistrement fait aussi à Washington, mais bien auparavant. Avant l’invention de toutes ces merveilles qui nous sont familières, la radio, la télé, l’ordinateur, l’iPad et le dentifrice à rayures. La chose a été réalisée au Volta Laboratory, au 1221 Connecticut Avenue, à un kilomètre de la Maison-Blanche, et la voix que vous entendrez est celle d’Alexander Graham Bell, l’inventeur du téléphone. Tenez-vous bien, cela a été fait le 15 avril 1885, il y a donc cent vingt-huit ans !
N’espérez pourtant pas des paroles aussi inoubliables que celles dites par le pasteur King : il ne s’agissait que d’un essai de voix. Dans un autre enregistrement, le célèbre inventeur se contentait de... compter, avec quelques mots donnant des précisions sur la date et le lieu de l’expérience.
Mais d’où sort cet enregistrement ? Eh bien, la prouesse est due au personnel du musée national d’histoire états-unienne, qui a travaillé sur un disque de cire où Bell avait enregistré sa voix. Évidemment, plus aucun appareil n’est capable de lire un disque aussi ancien, et d’ailleurs, toute tentative dans ce sens risquait de l’endommager à jamais. On a donc fabriqué une carte numérique à haute résolution capable de scanner sa surface. Le fichier numérique obtenu a été « nettoyé » tout aussi numériquement, afin de gommer les dégâts causés par l’usure du temps, comme les rayures ou les poussières, qui ont toujours été la plaie des disques, de cire ou de vinyle. Enfin, on a imaginé une « aiguille numérique » capable de lire la piste une fois nettoyée, ce qui a permis de reconstituer le son, et donc de l’enregistrer dans un fichier de notre temps – celui que vous pouvez écouter ICI.