Réformons la Constitution !
Mes chers compatriotes,
À la suite du scandale médiatique provoqué par mon Premier ministre, qui s’est permis, en plein congrès du parti auquel il appartient, d’utiliser un avion aux frais de la République, simplement pour aller voir un match de football à Berlin, et qui s’est péniblement justifié sous des prétextes ridicules (ou s’est fait justifier par des complaisants sous d’autres prétextes encore plus ridicules), je vois qu’à vos yeux la coupe est pleine.
En effet, récemment, nos compatriotes ont eu à supporter financièrement les frasques exagérément coûteuses de divers responsables, ou plutôt irresponsables, qui se sont servis sans vergogne de l’argent public, comme si occuper des postes de responsabilité vous autorisait à puiser sans limites dans les caisses de l’État pour votre confort personnel et votre vanité. Je ne nomme personne, c’est inutile, ces dérapages sont connus de tous et se multiplient parce qu’ils ne sont jamais sanctionnés : au contraire, toute infraction est récompensée par une promotion, permettant de déplacer le fautif pour le rendre moins voyant, selon la méthode bien connue des célibataires cachant sous le tapis la poussière de leur salon. Or vous, citoyens et contribuables, avez raison d’estimer intolérable que des personnes qui prétendent servir le pays songent avant tout à se servir, à vos frais, sans vous demander votre avis. Tout cela n’a rien de républicain, sauf peut-être aux yeux des dirigeants d’un parti d’opposition que je n’ai pas besoin de désigner plus clairement.
Afin d’éviter une récidive de la dernière affaire, celle du voyage footballistique, j’ai pris une décision, outre le renvoi du Premier ministre : réformer la Constitution. Je compte donc réunir le Congrès afin de faire ajouter à ce texte sacré un article qui précisera que, désormais, les postes importants de la République, tant au gouvernement que dans la haute administration, seront interdits à toute personne étalant ostensiblement et avec démagogie un goût exagéré du football, du tennis ou de tout sport en vue. Si cette réforme est adoptée, vous ne verrez plus ministres ou députés délaissant leur travail pour aller assister à un match. La passion du sport doit rester privée. Cessons enfin de nous ridiculiser aux yeux de nos voisins européens : en Belgique, en Allemagne, en Scandinavie, un tel comportement entraîne le renvoi du fautif, et dans la journée. Si nous continuons à tolérer que la loi protège les privilèges des puissants, nous aurons, soit le peuple dans la rue, soit le Front National parvenant à la tête de l’État.
Naturellement, j’appliquerai à moi-même la mesure dont je viens de vous entretenir. Et par exemple, au cas improbable où les Jeux Olympiques auraient lieu en France, vous n’assisterez plus à ce spectacle ridicule et indécent d’un président de la République déclarant solennellement « ouvert » ce type de distraction. Après tout, jamais un chef d’État français n’a fait de même pour lancer le Tour de France !