Privatisations au Royaume-Uni
La loi Macron que Manuel Valls a fait passer en force est favorable, pour ce que j’en ai compris, aux privatisations, et la Grèce vient elle aussi d’être obligée d’avaler ce genre de pilules amères. Or on ferait bien de marcher sur des œufs, car il y a eu des précédents édifiants : en Angleterre, en Nouvelle-Zélande, en Allemagne, en France, en Italie. Commençons par l’Angleterre.
Au royaume de Sa Majesté, lorsque Margaret Thatcher était Premier ministre, on a énormément privatisé : les mines de charbon, le logement public, l’acier, l’électricité, le pétrole, la distribution d’eau, etc. Bornons-nous à la privatisation des transports, et tout particulièrement à celle des chemins de fer, commencée en 1997. Jusque là, l’entreprise nationale de chemins de fer était réputée comme un véritable joyau typically British, les trains étaient nombreux et d’une régularité d’horloge (en France aussi, d’ailleurs), et les romans d’Agatha Christie ou ceux sur Sherlock Holmes donnent une bonne idée de la popularité de ce moyen de transport.
Or les British Railways, dirigé par le BRB (British Railways Board) que la loi sur les transports (Transport Act) avait créé en 1962 sous l’égide du gouvernement conservateur de Harold Macmillan, satisfaisaient tout le monde. Jusqu’à ce que Mrs Thatcher, qui n’aimait pas beaucoup les syndicats, s’avise qu’en scindant tout cela, elle pourrait gérer les chemins de fer au mieux de ses conceptions personnelles. Et, divisant pour régner, elle dispersa leurs activités sur... cent cinquante entreprises différentes ! Elle justifiait ce dépeçage par le souci de supprimer les subventions de l’État et de rendre le service plus efficace (les cons disent « performant ») – justement ce que l’on fait chez nous depuis que nous avons un gouvernement « de gauche ».
Le résultat fut une catastrophe, et l’Angleterre ne s’en est pas encore remise. On pensait que la pulvérisation des chemins de fer en une myriade de petites sociétés favoriserait la concurrence, c’est le contraire qui se produisit, et si désirez savoir pourquoi, je vous conseille le film de Ken Loach, datant de 2002, The navigators (sur le mode comique, ce n’est pas piqué des vers, et... l’article en question parle déjà de Bolloré !). Bref, il n’y a pas eu concurrence, l’efficacité a fortement diminué, et le contribuable a continué d’être sollicité, de plus en plus. Après un investissement initial destiné à marquer les esprits, les entreprises privées ont réduit fortement leurs apports en capitaux, et, vu le nombre de prestataires différents mis en œuvre, il est devenu quasiment impossible de traverser le pays de part en part – un peu comme, chez nous, quand vous désirez aller de Bordeaux à Lyon. Ainsi, l’entreprise Railtrack a été chargée de la signalisation, de l’équipement et de la maintenance des voies ferrées ; l’acheminement des passagers et l’exploitation des trains ont été confiés à différentes sociétés ; Railtrack facturait les autres entreprises pour l’entretien du réseau et le droit d’exploitation, etc. Mais l’entretien était mal fait, Railtrack n’avait pratiquement pas d’employés et faisait tout sous-traiter. Si bien que le manque d’entretien des voies ferrées a été à l’origine de la pire catastrophe ferroviaire de Grande-Bretagne, en 1999 à Paddington (une gare de Londres) : deux trains se sont percutés en pleine heure de pointe. Au moins trois accidents de trains sont imputables à cette privatisation. Un autre accident, à Hatfield, fut imputable à un rail défectueux qui s’est pulvérisé au passage du train. Quatre passagers et deux cheminots sont morts à cause du déraillement du train. Railtrack était au courant de ce rail brisé mais n’a rien fait (si bien que, depuis, le gouvernement a repris l’entretien des voies).
La privatisation a mis en compétition les avantages sociaux et les salaires, les pauses ont été réduites puis supprimées dans certaines entreprises, la sécurité des trains et des employés a été diminuée. Les sociétés privées les moins efficaces ont dû passer la main à d’autres sociétés pas toujours plus efficaces que les précédentes, faisant continuellement basculer les employés d’une entreprise à une autre. Seuls changements pour eux : les uniformes, et les conditions de travail toujours plus difficiles.
Mais Mrs Thatcher est restée sourde à tous les appels de la raison, car le pays a connu son heure de gloire avec des taux de chômage inférieurs à ceux de la France. Le chômage « qui baisse », c’était déjà LE critère de la réussite des gouvernements !