Ne cherchez plus !
La lettre volée est une nouvelle d’Edgar Allan Poe, auteur fantastique états-unien (1809-1849), parue en 1844 sous le titre The purloined letter. J’ai lu un certain nombre des œuvres de cet auteur, mais si je parle ici de cette nouvelle, ce n’est pas pour commenter ses qualités littéraires, qui sont réelles, c’est plutôt pour évoquer le thème de cette histoire : une lettre compromettante a été volée chez un membre de la famille royale britannique, un chantage est à craindre, le coupable et son domicile sont connus de la police, or, sans l’objet disparu, impossible de prouver le vol. La police, qui rend son tablier, confie les recherches à un détective privé. Évidemment, le fin limier retrouve la lettre, qui n’était pas cachée, mais bien en évidence, sur le bureau du voleur !
Ce principe de cacher les choses en ne les cachant pas, je l’ai bien souvent expérimenté, au point que je pense inutile de chercher quoi que ce soit, puisque les objets égarés, tous diaboliques, s’ingénient à se dissimuler dans les endroits les moins attendus qui soient. Par exemple, si vous ne savez plus où vous avez mis la baguette de pain que vous venez d’acheter, inutile de la chercher dans la huche à pain ! Allez plutôt jeter un coup d’œil dans votre réfrigérateur, dans votre chambre (elle est probablement sous le couvre-lit), dans le coffre arrière de votre voiture ou sur le siège des toilettes.
Voici trois exemples personnels.
Il y a quatre ou cinq ans, comme je ne porte aucun bijou, je m’étais débarrassé de deux bagues, l’une en argent, que j’avais fait fabriquer d’après un dessin de moi, l’autre en or, qu’une étrangère inconnue m’avait donnée dans la rue (authentique). J’avais rangé quelque part ces colifichets, sans prendre le soin de noter à quel endroit, et avais oublié ce détail. Or, l’année dernière, ayant trouvé une recette qui permettait de nettoyer les objets en argent, j’ai voulu vérifier cela sur la première bague, et, bien entendu, ne l’ai pas retrouvée. Philosophe, je n’ai pas insisté trop longtemps, car cela n’avait aucune importance, jusqu’au jour où, ne cherchant rien, j’ai mis la main sur les deux bijoux : ils reposaient sagement sur mon bureau, à côté de mon ordinateur, dans une boîte où je rangeais mes crayons et mes stylos. Sous mon nez, quasiment.
Voici quelques semaines j’ai désiré mettre en ligne une courte vidéo sur le Trou des Halles, d’après un DVD que j’avais acheté il y a deux ans. Et, comme vous vous y attendez, impossible de mettre la main sur le DVD. J’ai examiné minutieusement et plusieurs fois toutes les piles de DVD qui encombrent mon univers ; rien ! Mais, le mardi de cette semaine, le DVD furtif a fait sa réapparition dans une pile que j’avais déjà fouillée, à un mètre de mon bureau. Ne me demandez pas comment j’avais pu le rater jusque là.
Enfin, l’année dernière, j’ai eu envie de relire un roman d’Agatha Christie que j’ai déjà lu deux fois, Poirot quitte la scène (en anglais, Curtain), l’ultime aventure d’Hercule Poirot, dans laquelle il tue lui-même le criminel qu’il pourchassait, faute de pouvoir prouver sa culpabilité, avant de se suicider en s’abstenant d’absorber un médicament qui aurait empêché une crise cardiaque. Or, ayant fouillé partout, il m’a été impossible de retrouver ce livre. Mais, il y a trois jours, il est réapparu sur une étagère devant laquelle je passe sans arrêt, à la hauteur de mes yeux, bien visible à côté du Théâtre complet de Marivaux.
Tout n’est qu’irrationnel, autour de moi, alors que je suis un rationaliste obstiné. La vie est mal faite. Et ça, c’est si peu caché que chacun peut le voir !