Arles, fatale aux oreilles
J’ai suivi hier soir sur Arte l’émission sur Van Gogh et « l’énigme » [sic] de son oreille coupée. Décidément, dans cette ville d’Arles, on coupe beaucoup d’oreilles ! Dans les arênes, celle(s) du taureau vaincu (oh pardon, il faut écrire toro, j’oubliais). Ensuite, dans la fameuse Maison Jaune, celle du peintre Vincent Van Gogh, lui aussi vaincu par la vie. Serait-ce dans l’air ? Je suis allé souvent dans cette ville, et n’ai ressenti aucune envie de me priver des mes appendices auriculaires.
Néanmoins, l’enquête, menée par une certaine Bernadette Murphy, très obstinée, était intéressante, et m’a semblé mettre un point final à la grande question : Vincent s’est-il coupé toute l’oreille gauche, ou seulement un lobe ? Vous mesurez l’importance du débat. Or la réponse a été fournie par ce document, un texte illustré de deux croquis, faits par le docteur Félix Rey qui a soigné Van Gogh juste après sa mutilation volontaire. Bon article ICI, récent et complet. Donc, toute l’oreille a été coupée, sauf justement le fameux lobe.
Cette émission, en passant, réglait son compte à une légende qui a couru un peu partout, selon laquelle c’est Gauguin qui, au cours d’une dispute, aurait fait le geste oreillicide. Paul Gauguin, peintre fameux, aurait été payé par Théo – le frère cadet de Vincent, marchand d’art prospère à Paris, et qui a soutenu toute sa vie de ses deniers son frère dans la panade –, pour aller remonter le moral de son frère, installé dans la ville d’Arles. Vincent avait hébergé Paul, mais les deux hommes, trop différents, ne s’étaient pas entendus, car le premier était dépressif et malheureux, tandis que le second était un bon vivant, exubérant, dragueur et querelleur. Si bien que Gauguin avait annoncé son départ, qui eut lieu bel et bien au lendemain du drame. En outre, Vincent avait reçu de son frère une lettre dans laquelle il annonçait son prochain mariage, il craignait donc de se voir couper les vivres. Les deux hommes se seraient donc disputés, et Gauguin, jouant du couteau, aurait tranché la fameuse oreille. Cette légende est donc réduite à rien.
Quoi qu’il en soit, Van Gogh était à moitié fou, c’est certain : après la mutilation, il était allé offrir son oreille à une servante prénommée Gaby, surnommée Rachel, qui travaillait dans une maison accueillante que lui-même fréquentait assidument, en lui disant de la garder soigneusement !
Je rappelle que le cinéma a consacré plusieurs films à Van Gogh : en 1956, La vie passionnée de Vincent Van Gogh, de Vincente Minelli, film honorable avec un Kirk Douglas qui est plausible dans le rôle, et Van Gogh, en 1991, navet de Maurice Pialat, très prisé de la critique française, alors que JAMAIS dans ce film on ne voit le personnage en train de peindre. Je signale que l’acteur était... Jacques Dutronc, dont Pialat a dit pis que pendre après le tournage.