Prononciations incorrectes - Épisode 1

Publié le par Yves-André Samère

En France, et tout particulièrement dans les radio-télés, c'est à qui prononcera le plus mal des mots pourtant usuels. Voici un florilège, que vous devriez peut-être parcourir si vos relations possèdent plus de trente mots de vocabulaire, ont terminé leurs études ailleurs que dans une classe de transition de la Seine-Saint-Denis, et ont ouvert un livre dans les douze derniers mois. Cela peut vous éviter d’être montré du doigt. Quoique... Il va sans dire que ces informations ont été vérifiées dans les meilleurs dictionnaires. Le Littré d’abord, monument indispensable (les cons disent « incontournable »), mais aussi le « Larousse des difficultés de la langue française ». En revanche, le dictionnaire Robert a été laissé de côté : il est bien connu que cet ouvrage très médiatisé entérine comme correctes toutes les fautes de français, dès lors qu’elles sont commises par une majorité ! C’est sans doute pour cette raison qu’il a autant de succès.

- aiguiser : ce verbe est de la même famille que l’adjectif aigu et que le nom aiguille. De sorte que la lettre « u » se prononce, hé oui, et qu’ici, la syllabe « gui » n’a pas le même son que le prénom Guy !

- arguer : ce verbe, on s’en doute, est de la même famille que le mot argument, et se prononce par conséquent de la même façon : « ar-gU-er », avec le « u » audible. Il ne rime pas avec reggae... Le participe présent arguant obéit à la même règle, et ne se prononce pas comme Argan, le nom du personnage de Molière dans Le malade imaginaire. Pourtant, dans son discours de réception à l’Académie française, le 22 janvier 1981, Marguerite Yourcenar fit précisément cette faute ! Les autres académiciens en frémissent encore, du moins ceux qui ne dormaient pas. Et c’est justement pour éviter ce type de faute que l’Académie, dans ses suggestions de 1990 pour une réforme de l’orthographe, préconise de placer un tréma sur le « u » du verbe arguer. Ce ne serait pas plus bête.

- burnous : il n’y a pas de lettre muette dans les mots arabes ! On doit prononcer « bur-nousse », pas « bur-nou », pour désigner ce manteau de laine.

- enamouré : vous avez remarqué l’absence d’accent sur la première lettre ? C’est la clé de la prononciation : ce mot est composé à partir du mot amour et du préfixe en, comme enquiquiner, enfiler, emmêler, ennuyer ou emmerder ! Par conséquent, on ne prononce pas plus « é-na-mou-ré » qu’on ne dit « é-merdé », « é-mêlé » ou « é-nuyé », mais « AN-na-mou-ré ». Hélas, même Brassens a écorché le mot !

- gageure : n’imitez pas Daphné Roulier, ex-présentatrice sur Canal Plus et France Inter. Aucune ambiguïté, ce mot ne se prononce pas « gajeure »  (rimant avec heure), mais « gajure » (rimant avec parjure). La lettre « e » qui induit en erreur n’est là, placée après le second « g », que pour en adoucir la prononciation et lui conserver le même son « j » que dans « cage ».

- Giuseppe : ce prénom italien est systématiquement massacré en « gü-i-zèpe », au prix d’une inversion saugrenue des deux premières voyelles. Rappelons qu’en italien, le « i » après un « g » ne s’entend pas, il n’est là que pour adoucir cette dernière lettre et lui donner le son « j ». Finalement, on doit entendre « jou-zé-pé ».

- igné : à ne pas faire rimer avec niais ! Le « g » et le « n » ne fusionnent pas, ils sont dits séparément. Donc on prononce « ig’-né ». Encore une faute que Marguerite Yourcenar commit dans son discours de réception à l’Académie française. Ce n’était pas son jour...

- jungle : ce mot anglais se prononce « JON-gle », et non pas « JUN-gle ». Mais il est rare de l’entendre prononcer ainsi, même sur Arte quand la chaîne consacre une soirée à Tarzan. Et c’est pour se moquer de cette faute que Stéphane De Groodt a intitulé son livre « Le livre de la jongle ».

- kamikaze : mot japonais. Pas de « e » muet en japonais ! Par conséquent, un simple coup de téléphone au Consulat du Japon vous confirmera qu’il se prononce « ka-mi-ka-zé », pas « kamikaz’ » – le « e » muet n’existant pas plus en japonais qu’en italien ou en espagnol. Nul ou presque, en France, ne semble le savoir. Une seule fois, j’ai entendu prononcer correctement ce mot que le terrorisme a remis à la mode : sur France Inter, par Frédéric Charles, correspondant au Japon de Radio France et de la Radio-Télévision belge de la Communauté francophone. Mais lui vit là-bas depuis 1982, il a eu le temps d’apprendre la langue. Et il est consciencieux, ce qui est rarement le cas chez nous.

La suite dans le prochain épisode.

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

C
A l’intérieur de la série jungle, junte, punch, rhumb (et lumbago, columbarium, acupuncture, latifundiaire...), le cas de jungle appelle cette observation. Si Victor Hugo et Littré utilisent ‘on’ au XIXe siècle, la prononciation ‘un’ est bien attestée au moins dès 1914 (voir TLF), ce qui commence à devenir respectable. On se demande d’ailleurs quelle est la justification de ‘on’. J’avoue ne pas la connaître.
Répondre
Y
Peut-être. Mais, en 1914, le monde marchait sur la tête. Je ne vois pas de meilleure explication. Et si la prononciation admise par le Littré est bien « jongle », c’est sans doute parce que ce mot n’est pas d’origine française, puisqu’il vient du sanscrit. Voilà la justification. Il y a aussi le Larousse du vingtième siècle, en six volumes, édition de 1931, qui penche du même côté que le Littré et ignore la prononciation « jungle ».