Enjoliveurs-17 : « incontournable » (bis)

Publié le par Yves-André Samère

On croit toujours être le seul. Je croyais donc être le seul que le mot incontournable agace. Ce vocable, qui plaît tant aux incultes voulant enjoliver leur vocabulaire (bien à tort ! Voyez ces crétins, adeptes du tuning, qui « enjolivent » leur voiture, leur moto, leur ordinateur, etc. : le résultat est invariablement consternant de laideur), ce vocable, disais-je, n’a aucune légitimité, et aucun équivalent dans quelque langue que ce soit. Sérieusement, en cuisine, qu’est-ce qu’une recette « incontournable » ? Au théâtre, qu’est-ce qu’un acteur « incontournable » ? Si les mots ont un sens, celui-là devrait signifier « qu’on ne peut pas contourner », non ? Or l’image est burlesque.

Bref, je découvre aujourd’hui un autre individu, sans doute un pervers, à qui ce mot donne des boutons. C’est Renaud Camus, écrivain certes d’extrême-droite, mais aussi talentueux que prolifique (n’en tirez aucun conclusion), et qui finira bien par entrer à l’Académie française. Dans son petit livre Répertoire des délicatesses du français contemporain, il flingue avec esprit le mot tabou, en ces termes :

Plusieurs années durant, incontournable a joué avec une certaine dignité [...] le rôle difficile à tenir de l’adjectif officiellement... incontournable. C’est une position ingrate, car elle est nécessairement ridicule. Incontournable avait le mérite [...] de se savoir ridicule, [...] et de s’assumer comme tel, non sans une sorte de panache, serait-ce un panache à l’envers. Lorsque incontournable sera tout à fait mort, il n’est pas exclu qu’on le regrette un peu, en souriant. On avait fini par s’attacher à son air niais, finement mis en avant.

Ouf ! Je vais pouvoir sortir dans la rue sans que les gosses et les journalistes (l’âge mental et le degré de culture sont équivalents) me jettent des pierres. C’est rassurant.

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