Pourquoi les décorations ?
Je suis fermement hostile aux décorations quand elles ne distinguent pas quelqu’un ayant risqué sa vie pour autrui ou rendu un service exceptionnel au pays. Dans tous les autres cas, c’est une bouffonnerie déshonorante, et accepter une décoration est un signe de bassesse.
La Légion d’Honneur ne devrait être décernée qu’à titre militaire, pour haut fait en temps de guerre. Au lieu de cela, les listes de décorés que la presse publie sont consternantes : écrivains ayant su faire leur cour, grands patrons virtuoses des « plans sociaux », ministres ayant tout raté (un Premier ministre est systématiquement décoré au sixième mois de son mandat), acteurs, champions sportifs, magistrats préférant rendre des services plutôt que la justice, animateurs de télévision, la liste est longue.
Souvenez-vous de Jack Lang, ministre de la Culture, qui décorait tout acteur étranger passant par Paris ! L’occasion surtout, pour le ministre, de se faire de la publicité. Souvenez-vous de Mitterrand, président de la République, qui a décoré TOUS les membres de sa famille – sauf son neveu Frédéric – sous le moindre prétexte et parfois sans prétexte du tout !
Et que dire des journalistes décorés ? Interviewer des puissants, dîner avec eux et leur passer la brosse à reluire, c’est à ce point méritoire ? « Le Canard enchaîné » applique cette doctrine, qui devrait bien inspirer d’autres publications : tout rédacteur du journal qui accepte une décoration est instantanément viré. Cela s’est produit une fois et une seule, avant la Deuxième Guerre Mondiale. Mais dans les autres journaux, on n’a pas ce genre de pudeur.