« Artagnan » ou « d’Artagnan » ?

Publié le par Yves-André Samère

Fidèle à ma politique de n’accorder mon attention, en priorité, qu’à ce qui n’intéresse personne (on est futile de naissance, ou on ne l’est pas), je décide présentement de partir d’un petit fait passé inaperçu, sauf de l’estimable Philippe Meyer, que je remercie.

Il a en effet relevé ceci : dans une communication adressée à l’Académie des Sciences morales et politiques, M. Marc Guillaume, conseiller d’État, à l’époque Directeur des Affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice, relate que M. Bahiri a déposé en 2004 une demande de changement de nom : il voulait ne plus porter de nom à consonnance étrangère. Afin de parfaire son intégration, il demandait à porter le nom de sa grand-mère maternelle, qui se nommait d’Artagnan. Le Garde des Sceaux a fait droit à cette demande par décret du 26 mars 2004. Or le sénateur Aymeri de Montesquiou-Fezensac, issu de la famille Montesquiou-Fezensac d’Artagnan Montluc, a attaqué ce décret devant le Conseil d’État, comme le permet la jurisprudence. La Haute Assemblée a rejeté ce recours par une décision du 28 octobre 2005. D’une part, elle a jugé que M. Bahiri, eu égard à l’origine étrangère de son nom patronymique, justifiait d’un intérêt légitime à demander l’autorisation de porter un autre nom. D’autre part, elle a estimé que le risque de confusion allégué par le sénateur n’était pas établi, dès lors qu’il ne portait pas le patronyme d’Artagnan. Elle en a déduit qu’en dépit de la rareté du nom dont il s’agit, et de l’illustration qui lui en a été donnée par plusieurs personnes qui l’ont porté, le préjudice invoqué par le sénateur « ne peut être regardé comme suffisant ».

Pour ma part, très satisfait du nom que je porte, lui-même illustre, je me fiche bien de toutes ces disputes. En revanche, je me pose une question que PERSONNE, absolument personne, ne se pose jamais : est-il normal que le héros d’Alexandre Dumas, qui fut aussi un personnage réel puisque c’est lui qui arrêta Fouquet sur les ordres de Louis XIV, et qui mourut maréchal à la bataille de Maastricht, soit toujours désigné comme « d’Artagnan » plutôt que « Artagnan » tout court ?

Expliquons-nous. Charles de Batz-Castelmore était comte d’Artagnan. Cela signifie que sa famille possédait une terre, une seigneurie nommée Artagnan (pas « d’Artagnan »), située dans la région de Bigorre, propriété de la famille Montesquiou, et qui donna ce nom à une branche de la famille. Précisons encore que le village nommé Artagnan (pas « d’Artagnan » !) existe toujours, et que ces habitants sont surnommés « les idiots » (soit « Eths pepis ») par les Bigoudans – les natifs de Bigorre.

Donc, le mousquetaire de Dumas était comte d’Artagnan, le d’ constituant une particule, c’est-à-dire une préposition indiquant un lieu d’origine. Et toute personne connaissant un peu l’aristocratie sait parfaitement que la particule ne fait pas partie du nom. Par exemple, si j’étais assez familier du duc de Montesquiou (le sénateur nommé plus haut est d’une famille ducale) pour l’appeler par son nom, je l’appellerais « Montesquiou », et non pas « de Montesquiou » ! De même, lorsqu’un de ses amis interpellait Cyrano de Bergerac, il disait soit « Cyrano », »soit « Bergerac », mais en aucun cas « de Bergerac ». Et je n’ai jamais lu ni entendu « de Mirabeau » pour désigner le fameux révolutionnaire français !

Il n’y a donc aucune raison de dire « d’Artagnan » (il existe d’ailleurs un auteur nommé André Gil-Artagnan, qui a écrit sur la navigation dans l’Antiquité).

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

Y
Il y avait bien un marquis d’O, mais, dans la nouvelle de Kleist, il est mort et la marquise est devenue veuve. Elle est ensuite demandée en mariage par un officier, mais le mariage est reporté et<br /> l’officier doit repartir. Or, peu après, la marquise se retrouve enceinte ! Qui donc est le père ?<br /> <br /> C’était là le synopsis du film de Rohmer.
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D
A mon avis, il devait quand même y avoir un marquis d'O !
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Y
Le cas de la marquise d’O est un peu à part, car on appelle rarement les femmes par leur patronyme, et j’imagine mal qu’on l’ait interpellée par « O » ou « d’O ».
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D
Ben oui, on ne dit la "particule" que quand le nom n'a qu'une syllabe. La Marquise d'O, par exemple. Là, c'est extrême.<br /> Mais figurez-vous qu'à la mort de mon beau-père, on s'est aperçu qu'il s'appelait L... de Cagnan. Comme il y avait beaucoup de L... dans le petit bled de sa naissance, on lui a ajouté le nom de la<br /> ferme où il était né.<br /> Cette histoire avait plongé les anglais dans une profonde perplexité quand Villepin est devenu Premier ministre.
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