Intime conviction
Depuis dimanche, j’ai eu beau tendre l’oreille en direction de ma radio ou de ma télévision, je n’ai pas entendu la moindre allusion à cette décision que le Conseil Constitutionnel a prise vendredi dernier – le 1er avril, comme par hasard. Pourtant, il ne s’agit pas d’une farce. Ou alors, d’une sale farce, puisque ledit Conseil a décidé qu’il était « conforme à la Constitution » de ne pas demander aux jurés des cours d’assises de motiver leurs décisions, système inique datant de la Révolution de 1789, soit dit en passant.
Il me semble avoir déjà parlé de cette monstruosité qui fait que, chez nous, les jurés de cour d’assises, qui examinent les crimes, n’ont pas à motiver leurs verdicts, et que la loi ne demande, à eux et aux juges qui siègent dans le jury, que d’avoir une « intime conviction ». Alors que, dans les tribunaux correctionnels, qui jugent les délits non criminels, le verdict doit être motivé – et par écrit, bien entendu. Cette façon de concevoir la justice est d’ailleurs contestée par la plupart des avocats, mais elle a été confirmée à plusieurs reprises par la Cour de Cassation, et on se demande bien pourquoi !
C’est que cette conception de l’intime conviction est la porte ouverte à tous les abus, et elle nous a valu plusieurs erreurs judiciaires, dont toutes n’ont pas pu être réparées, puisque plusieurs de ses victimes ont été condamnées à mort et donc exécutées. Je pense évidemment à Christian Ranucci, garçon de vingt-deux ans qui, parce qu’il se savait innocent et se croyait donc à l’abri, a un peu trop, selon le président du tribunal, ouvert sa grande gueule durant les débats, et s’est ainsi rendu antipathique aux juges, qui ont fait pression sur les jurés, lesquels l’ont envoyé à la guillotine. Que cette anomalie de la loi fasse que tous les pays civilisés nous montrent du doigt, comme nous faisait montrer du doigt l’obstination de nos pouvoirs publics à conserver la peine de mort alors que l’Europe entière l’avait abolie, ne semble pas troubler grand-monde chez les porteurs d’hermine.
Quant au gouvernement, il n’hésite pas à réformer la Constitution quand ça l’arrange. Il pourrait aussi réformer cette disposition-là.