La compétence d’un spécialiste
Nous sommes gouvernés par des aigles, nous l’allons montrer tout à l’heure. Quoique on se demande parfois si ce ne sont pas plutôt des albatros. Vous savez, ces oiseaux dont les ailes de géants les empêchent de marcher. Ainsi, voyez Pierre Hérisson. Cet Hérisson est un drôle d’oiseau ! Sénateur, il est également, dans cette assemblée, président du Groupe d’études sur les postes et communications électroniques. À ce poste, il joue un rôle capital dans la régulation des nouvelles techniques et des fournisseurs d’accès à Internet. Vous vous dites aussitôt que ce gars-là doit être une épée en matière technique, et qu’on ne lui fait pas passer une vessie pour une lanterne.
Or, histoire de sonder ses connaissances en la matière, StreetPress, qui est un organe d’information sévissant sur Internet, s’est amusé, le 26 octobre, au cours d’une conférence sur la neutralité des réseaux, à lui poser une série de questions volontairement idiotes, histoire de vérifier si l’honorable représentant du peuple serait capable de déceler la supercherie. Il y a des malveillants partout, j’en ai honte pour mon pays...
Première question posée par la journaliste de StreetPress : « Quelle solution envisagez-vous pour éradiquer les pop-up ? ». Rappelons aux cancres – qui me liraient par le plus grand des hasards – qu’un pop-up, c’est une sorte de fenêtre parasite, en général destinée à vous faire voir une publicité, qui surgit de façon inattendue et gênante sur votre écran lorsque vous consultez votre site préféré sur Internet. Casse-pieds, donc, mais pas dangereux. La question est un piège, car elle ne concerne pas du tout le sujet et n’a pas grand-chose à voir avec la neutralité des réseaux. Mais le sénateur ne s’en aperçoit pas et répond en langue de bois qu’il est « urgent de faire quelque chose. Néanmoins [...], on aura besoin d’un mélange du législatif et de l’utilisation des technologies pour régler ce problème ». Visiblement, il a tout compris, sauf qu’on se paie sa tête – et que technologie n’est pas du tout synonyme de technique.
Deuxième question, posée par la même journaliste, que décidément on devrait se dépêcher de marier à un parachutiste pour l’empêcher de nuire davantage : « Est-ce que pour vous, trop d’update tue l’update ? ». L’update, c’est la mise à jour d’un logiciel qui, si elle est disponible, vous est proposée par ce logiciel lorsque vous le lancez. Donc, a priori, un truc utile. Mais le Hérisson n’y voit que du feu et répond « Sûrement ! C’est un principe général dans la vie, ça. Trop de politique tue la politique, trop de guerre tue la guerre, trop de paix finit par tuer la paix ». C’est bien vrai, ça, trop de paix tue la paix, et trop de connaissance de son sujet finit par tuer la connaissance, probablement.
Troisième question, carrément odieuse, lancée par cette femme qui, en Iran, serait certainement lapidée : « Que peut faire l’industrie du cinéma contre des sites comme YouPorn [un site porno], qui prennent une grosse part voire toute la part du marché ? ». Le sénateur répond à cela que « On va retrouver là la question des monopoles[...]. Comment va-t-on faire pour empêcher ce que la loi interdit, qui s’appellent les situations dominantes ? Comment on peut empêcher les situations dominantes, à part faire ce que l’on fait avec les cimentiers dans le monde, c’est-à-dire les condamner régulièrement au niveau européen ou même au niveau mondial, et se retrouver dans une situation où ils sont même capables de payer de très fortes amendes ? ». Ce qui, convenez, répond exactement à la question posée : les cimentiers, les vendeurs de porno, tout ça, c’est la même farine.
Quand je vous dis qu’on est gouvernés !