Mauvais projectionnistes
Je trouve légitime qu’on ne garde pas un employé qui fait mal son travail. Par exemple, il était bon qu’on vire Isabelle Giordano de France Inter, même si la décision a été prise par un type, Philippe Val, que je méprise pour avoir retourné sa veste et être passé, de l’état de chanteur contestataire et gauchiste, à celui de notable pontifiant à la télé ou faisant des ronds de jambes sur le Campus de HEC.
Bien entendu, il faut tenir compte des servitudes du métier. On conçoit très bien que s’habituer aux professions d’instituteur, de trapéziste ou d’« aiguilleur du ciel » (ce n’est pas le terme exact) réclame un temps de formation, et qu’on réussit rarement du premier coup, même s’il peut en résulter des suites fâcheuses (surtout pour les trapézistes). Mais enfin, tous les métiers ne sont pas si difficiles.
Je ne me donnerai pas le ridicule de discuter des métiers que je ne connais pas, mais par exemple, tenez : le métier de projectionniste dans un cinéma. Rien de difficile ni de dangereux dans ce travail, et je sais de quoi je parle, j’ai été projectionniste, pas longtemps, mais assez pour en parler ! Naguère, le plus absorbant de la tâche d’un projectionniste résidait dans l’obligation de faire le point, c’est-à-dire de s’assurer que l’image à l’écran était et surtout restait nette. En effet, sous l’action de la forte chaleur dégagée par le projecteur muni de lampes à arc, la pellicule avait tendance à se gondoler, et donc la distance entre celle-ci et l’objectif pouvait varier imperceptiblement, assez pour générer du flou. Le projectionniste devait alors rester le plus possible dans sa cabine, surveiller l’écran de temps en temps, et corriger la mise au point, ce qui n’est pas exténuant si c’est légèrement barbant.
Mais, avec l’avènement de la projection numérique, qui est presque généralisée en France, la pellicule n’existe plus, elle est remplacée par un fichier sur disque dur. Lorsque vous regardez une vidéo sur l’écran de votre ordinateur, jamais vous ne verrez l’image devenir floue ! Ainsi, le travail du projectionniste s’en trouve extrêmement simplifié, et d’ailleurs on le lui enseigne dans des stages formant au métier, où on lui délivre une attestation mentionnant son niveau de connaissances (il y a quatre stades, du niveau A au niveau D). Si bien qu’il suffit désormais de régler les détails de la projection AVANT la séance : dimensions de l’image sur l’écran grâce à un zoom incorporé sur le projecteur, et distance, qui est immuable pour chaque salle, quel que soit le film. On voit que le surmenage n’est pas à craindre.
Malgré cela, dans certains cinémas mal tenus comme l’UGC des Halles, à Paris, les incidents sont courants. Ainsi, hier, l’image, mal réglée, était ridiculement trop petite pour l’écran, et décalée vers la gauche, si bien que certains sous-titres sortaient du cadre. Aujourd’hui, en revanche, on a eu droit à une image trop grossie, et le bas était projeté sur le mur au-dessous de l’écran. Naturellement, les spectateurs français – tellement frondeurs, n’est-ce pas – ne se plaignent jamais, ils trouvent normal d’être traités comme ces veaux dont parlait De Gaulle.
Alors, virer les incompétents et les fumistes ? Vous allez objecter que les syndicats vont faire du foin. Mais le rôle des syndicats n’est-il pas de protéger avant tout les travailleurs consciencieux ? En cette époque de chômage endémique où tant de travailleurs potentiels font la queue dans la rue pour décrocher un boulot, pourquoi ne pas donner la préférence aux bons plutôt qu’aux mauvais ?