Pagaille dans le vocabulaire
Avant-hier, je remarquais ici que le souci du mot juste ne semblait pas la principale préoccupation de nos contemporains. Et si je donnais quelques exemples, histoire d’être, euh... juste ?
Il y a d’abord cette évidence que, pour LA TOTALITÉ des Français, une semaine dure huit jours ! Surprenant... C’est l’occasion de vérifier. Comptons sur nos doigts, à défaut de compter sur le bon sens : dimanche, un ; lundi, deux ; mardi, trois ; mercredi, quatre ; jeudi, cinq ; vendredi, six ; samedi, sept. Je n’ai pas triché, non ? Donc, pour les Français, sept égale huit. On comprend que chaque année ils suent sang et eau sur leur déclaration d’impôts.
Mais il y a mieux : si une semaine, c’est huit jours, deux semaines, c’est quinze jours. Ben voyons, deux fois huit égalent quinze, tout le monde peut le constater. Dire que la France a la réputation de donner naissance à une flopée de mathématiciens ! Qui décrochent parfois la médaille Fields (souvenez-vous de Cédric Villani, le type aux cheveux longs avec une broche en forme d’araignée). Je n’ai pas eu l’occasion de vérifier, mais je me demande souvent si, à l’étranger, on est aussi primesautier avec l’arithmétique. Lecteurs qui voyagez, renseignez-moi, je n’ai pas le temps de me lancer dans un tour du monde.
(Vu qu’au fond j’ai bon cœur, je n’insiste pas sur l’erreur commune, consistant à dire d’une décade, c’est dix ans. Cette faute vient de l’anglais, mais ce n’est pas une excuse. Tâchez de voir le film de Claude Chabrol La décade prodigieuse, film qui n’avait rien de prodigieux malgré la présence d’Orson Welles et d’Anthony Perkins au générique, adapté d’un roman policier d’Ellery Queen qui valait bien mieux, et dont l’histoire se déroulait en dix JOURS. Dix ans, c’est une décennie)
Changeons de point de vue. J’ai plusieurs fois écrit combien je trouvais absurde que, pour désigner la fin du communisme dans l’ex-Empire soviétique, on n’utilise QUE cette expression ridicule, mais que tout le monde semble trouver normale : la chute du mur de Berlin. Comme si la chute d’un mur pouvait jeter à bas un régime politique dictatorial, injuste, criminel et n’ayant fonctionné nulle part, installé depuis soixante-douze ans ! Je rappelle en outre qu’une chute, c’est toujours un évènement accidentel et fortuit, jamais un acte méthodique et abondamment filmé, organisé pour viser un but politico-médiatique, comme ce fut le cas. Lorsque les Parisiens ont démoli la Bastille, quelqu’un a-t-il écrit que c’était une chute ? Quand un parachutiste saute d’un avion, dit-on que cet acte volontaire est une CHUTE ?
Pour ne rien dire de la confusion permanente et généralisée entre chiffre et nombre. Rappelons que les chiffres sont des symboles graphiques, servant UNIQUEMENT à écrire les nombres, lesquels, eux, permettent de compter. En Europe, nous avons d’abord utilisé les sept chiffres romains (I, V, X, L, C, D et M), très peu pratiques, véritables obstacles au calcul, avant de les remplacer au début du treizième siècle par les dix chiffres arabes, ainsi appelés parce qu’ils sont indiens (0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9). Il est inadéquat et ridicule de parler du « chiffre du chômage » ou du « chiffre de l’inflation ». Et la célèbre inflation « à deux chiffres », elle ne vous fait pas marrer, alors que le nombre 0,1 s’écrit bien avec deux chiffres ?