Pour ou contre le livre électronique ?
Dans « Le Canard enchaîné » de cette semaine, en page 5, on peut lire un article qui évoque l’opinion de Frédéric Beigbeder sur les livres numériques – ceux qu’on lit avec une « liseuse », c’est-à-dire une tablette électronique. Ces gadgets peuvent s’approvisionner sur Internet en livres soit payants (trop chers, presque le prix du livre sur papier), soit gratuits. Leur mémoire étant suffisante, selon les cas, pour emmagasiner des dizaines, voire des centaines de livres au format PDF (format incapable de s’adapter au format de la tablette parce que la mise en page est figée), soit au format EPUB (plus volumineux, mais qui s’adapte à l’espace de l’affichage et peut gérer le passage à la ligne en fonction de la place disponible, comme les traitements de texte), il s’ensuit que vous pouvez avoir dans votre poche autant de livres que vous le désirez, et passer instantanément de l’un à l’autre avec un simple effleurement de doigt – sorte de zapping qui favorise la dispersion, et donc défavorise la concentration et la lecture.
Beigbeder est hostile aux livres électroniques, et il a des arguments que je vous invite à découvrir, soit dans « Le Canard », soit dans son livre Premier bilan après l’apocalypse, soit dans « Le Point » du 8 septembre où il a donné une interview. Sa crainte est que le livre électronique finisse par provoquer la mort des librairies, et ce n’est pas absurde. Bien la peine que Jack Lang les ait sauvées en 1981 !
Comme j’ai un peu d’expérience du livre électronique, voici un argument supplémentaire, fondé sur cette expérience. Lorsque vous lisez un livre électronique sur une tablette, il se produit un phénomène curieux, qui n’apparaît pas avec un livre sur papier : vous êtes pressé d’arriver au bas de la page et de la « tourner » – en fait, vous ne tournez rien, vous passez à l’écran suivant –, et vous regardez fréquemment les paramètres pour voir où vous en êtes dans le livre. Cela finit par devenir obsédant, vous lisez de plus en plus vite (du moins vous le croyez) et avec de moins en moins d’attention, si bien que, fréquemment, vous vous trouvez obligé de revenir en arrière, sur la page précédente, parce que vous avez perdu le fil. Finalement, vous vous comportez comme un boulimique et comme un idiot.
J’ignore à quoi est dû ce phénomène, sans doute à la présence d’un écran, qui exerce une sorte de fascination par son côté irréel. Toujours est-il que vous lisez moins bien et que le texte vous échappe en partie.
Naturellement, le livre électronique n’a pas que des inconvénients, il a même quelques avantages, dont le principal est économique : une immense réserve de livres tombés dans le domaine public, donc gratuits. Mais enfin, les inconvénients sont évidents, dont celui-ci : on n’a jamais vu un livre sur papier devenir illisible parce que la batterie était déchargée !