Taubira, t’obéiras ?
Pas une seconde on ne peut croire que le choix de Christiane Taubira comme ministre de la Justice est le fait du Premier ministre. En fait, c’est la décision de François Hollande seul, et elle me paraît motivée au moins par deux raisons – peut-être davantage.
La première était d’envoyer à Jospin un message pas le moins du monde subliminal, consistant en ceci : désormais, tu comptes pour du beurre, et je te le montre en donnant un maroquin à celle qui a provoqué ta chute définitive en 2002 (avec l’aimable concours de Chevènement, pour tout dire). Jospin a fait la preuve qu’il est infiniment plus capable que le nouveau président, il importait de lui faire savoir que cela lui enlevait donc tout espoir de remonter en selle pour y faire de l’ombre à un tas de gens – lesquels, en outre, ne lui ont pas pardonné son spectaculaire et immédiat retrait de la vie politique.
La seconde raison vise le Parti Socialiste, fief actuel de l’ennemie mortelle du président normal, Martine Aubry. En effet, Christiane Taubira, qui n’est pas socialiste mais radicale, est détestée au sein du PS, d’une part pour avoir ruiné les espoirs du parti en 2002, et d’autre part en raison de son passé trouble : elle a voté l’investiture de Balladur en 1993, puis, l’année suivante, s’est inscrite sur la liste de Bernard Tapie lors des élections européennes. Un brillant pedigree ! De cette détestation, elle s’est offusquée, d’ailleurs, en 2009 sur RMC, où elle participait à l’émission Les grandes gueules. Ignorant que les micros étaient ouverts, elle avait vidé son sac : « On [sous-entendu, le Parti Socialiste] me fait des violences énormes. Vous n’imaginez pas ce que j’encaisse. [...] On me traite de sale [...]. Il y a des représailles ». Puis elle avait indiqué qu’elle était « désespérée » et envisageait de partir « peut-être au Brésil ou en Afrique du Sud ». L’animateur de l’émission en direct lui lut alors une réaction d’un auditeur, et prenant conscience de sa gaffe, elle rit et s’écria « Vous êtes dégueulasse », comme Jean-Paul Belmondo dans À bout de souffle.
Pour ne rien arranger, cette élue de la Guyane est une indépendantiste, or il n’est pas certain que les Guyanais souhaitent devenir indépendants et devoir se débrouiller sans les subventions de la métropole... Son seul atout est d’avoir été à l’origine de la loi qui faisait de l’esclavage un crime contre l’humanité.
Et puis, il y a le coup de pied de l’âne en direction de Bertrand Delanoë. Le cher Bertrand, qui sait n’avoir plus que deux ans à tenir comme maire de Paris et en a par-dessus la tête de ce poste, voulait être ministre de la Justice. On ne sait trop à quoi tenait ce souhait de lâcher la proie pour l’ombre, la fonction de maire de Paris étant infiniment plus reluisante et offrant davantage de pouvoir. Mais pas question de le faire entrer au gouvenement, car il a un petit défaut connu de tous : Delanoë a un caractère de chien, et n’est pas du genre docile. Autrement dit, au PS, il collectionne les bons amis qui aimeraient bien le voir prendre sa retraite. Eh bien, il va la prendre.
Alors, bien sûr, madame Taubira n’est pas commode non plus. Mais, n’étant pas socialiste, elle est plus facilement éjectable en cas de besoin, car elle ne trouvera aucun défenseur. Et pour une fois, la droite et la gauche seront d’accord.