Jivarisons notre vocabulaire !
Le verbe jivariser, utilisé dans mon titre, n’existait pas avant ce jour. Du moins, je ne l’ai jamais rencontré ailleurs. Mais vous aviez compris que, par cette invention de mon cru, je me réfère aux Jivaros, peuple d’Amérique du sud, qui s’est taillé une réputation flatteuse par son art de réduire les têtes (à la dimension d’un poing) de ses ennemis. Quoique, à vrai dire, je ne sois pas sûr de cette charmante coutume. Je n’ai d’ailleurs jamais vu de tête réduite, sinon une fois, lorsque j’étais enfant, en visionnant un film d’Alfred Hitchcock, Under Capricorn (en français, Les amants du Capricorne), film très raté, que son réalisateur a beaucoup regretté d’avoir réalisé : Ingrid Bergman y était terrorisée par une domestique perverse qui s’efforçait de la rendre folle, et qui avait imaginé, puisque l’histoire se passait en Australie, de placer dans son lit une tête réduite, aimable plaisanterie qui produisait son petit effet (sur Ingrid, pas sur moi, précisons-le).
Mais enfin, transposé dans notre vocabulaire actuel, je ne vois pas de meilleur moyen de qualifier une autre coutume, française celle-là, consistant à raccourcir les mots, tous les mots, parce que nous sommes trop pressés et que, par exemple, dire petit déjeuner quand on peut dire p’tit déj’ nous rend plus apte à gagner de précieuses secondes, utilisés ensuite à nous faire mieux comprendre de nos chers contemporains. Qui, de toutes façons, ne comprendraient pas les mots tels qu’ils sont à l’origine.
Et donc, nous préférons dire circo pour circonscription, asso ou assoce pour association, restau pour restaurant, prof pour professeur, appart’ pour appartement, fac pour faculté, aprèm pour après-midi, à tout’ pour à tout à l’heure, H24 pour la journée entière, ordi pour ordinateur, dico pour dictionnaire, pub pour publicité, manif pour manifestation, comme d’hab pour comme d’habitude, maths pour mathématiques, sympa pour sympathique, géo pour géographie, et il n’est pas jusqu’aux journaux qui empruntent cette voie royale afin de suivre une mode qu’ils ont oublié de lancer eux-mêmes, Le Nouvel Observateur devenant L’Obs, et Le Parisien libéré se libérant lui-même en n’étant plus que Le Parisien.
Inutile de dire que j’ai volontairement oublié toutes les jivarisations quand elles étaient trop vulgaires, car je ne tiens pas à calquer mon langage sur celui de Macron, qui ferait bien de réduire ses propres discours à... rien du tout !