Cases ?

Publié le par Yves-André Samère

L’une des rengaines les plus ridicules et les plus utilisées par les acteurs – et ne me dites pas que vous ne l’avez jamais entendue –, c’est celle-ci : en France, « on aime bien mettre les gens dans des cases ». Traduction : dès qu’un acteur a obtenu un succès dans un rôle quelconque, ces salauds de producteurs voudraient qu’il rejoue le même personnage dans un autre film ou une autre pièce, et par ici la monnaie. Sous-entendu : moi, monsieur, je ne mange pas de ce pain-là, je n’aspire qu’à me renouveler, et je refuse de marcher toujours dans le même sillon (alors que mes camarades, EUX, etc.).

Inutile de dire que c’est entièrement faux, et, sans trop me creuser la cervelle, je peux dénicher des dizaines d’exemples qui montrent qu’au contraire, les producteurs sont souvent plus avisés que les acteurs et les réalisateurs, et il y en a eu de grands en France, sans lesquels des réalisateurs célèbres n’auraient seulement pas pu débuter. Par exemple Alexandre Mnouchkine, Georges de Beauregard, Daniel Toscan du Plantier, Robert Dorfmann, Raymond Hakim, Raoul Lévy, Yves Robert, Alain Sussfeld ou Pierre Braunberger... J’en passe et de nombreux.

Il est tout aussi faux que les bons acteurs refusent de sortir de l’ornière et de jouer des personnages dont ils n’ont pas l’habitude. Ainsi, Louis de Funès a tenu à jouer L’avare, de Molière, pas du tout le genre de rôle auquel il avait habitué son public, et le film a eu un grand succès. Jean-Marie Bigard, sur scène, a aussi interprété Molière, dans Le bourgeois gentilhomme, ainsi que Clérambard, de Marcel Aymé, quand le risque était énorme et qu’il n’a pas hésité à le prendre ; d’ailleurs, le public n’est pas venu, bien qu’il ait fort bien joué les deux personnages ! Lambert Wilson, qui interprétait un moine martyr dans Des hommes et des dieux, a ensuite repris dans The king and I, comédie musicale donnée récemment au Châtelet, le rôle chanté du roi, que Yul Brynner avait popularisé et joué plus de mille fois. Michel Galabru, spécialisé dans les rôles comiques, a eu son meilleur rôle dans Le juge et l’assassin, de Bertrand Tavernier, où il était un assassin d’enfants. Catherine Samie, qui avait été si drôle en jouant la Môme Crevette dans La dame de chez Maxim, de Feydeau, a tenu dans Caligula, à la Comédie-Française, le rôle... d’un vieux sénateur (mise en scène de Youssef Chahine). Pierre Richard, qui a débuté dans d’innombrables comédies écrites par lui, par Yves Robert ou par Francis Veber, a été pour la télévision le meilleur Robinson Crusoe qu’on ait jamais vu en France (le téléfilm repasse de temps en temps, vous pourrez vérifier). Albert Dupontel, qui avait débuté comme humoriste, joue aujourd’hui bien plus souvent des rôles dramatiques (en 2002, dans Irréversible, il massacrait un violeur en lui écrasant la tête avec un extincteur). Line Renaud, qui a débuté dans la chanson légère et les revues de music-hall à Las Vegas et au Casino de Paris, triomphe de nos jours dans une multitude de rôles souvent sérieux, totalement à l’opposé de ce qu’elle faisait à ses débuts. Virginie Lemoine, qui était humoriste à ses débuts et jouait les fofolles, joue un rôle dramatique dans une série télévisée qui dure depuis 2001.

Et donc, la rengaine dont je parlais en commençant a pour principal but de dissimuler la honte suprême : elle sert plutôt de bonne excuse aux acteurs qui ne trouvent pas d’engagement. Et ce ne sont pas forcément les meilleurs !

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