Ministre giflé
La Côte d’Ivoire est une de nos anciennes colonies en Afrique, et, comme beaucoup de ces pays, elle est devenue indépendante en 1960. Le premier président élu fut Félix Houphouët-Boigny, qui, d’ailleurs, était déjà l’homme le plus riche et le plus puissant, politiquement, de Côte d’Ivoire. Ayant instauré le parti unique pour éviter, disait-il, le désordre du tribalisme qui aurait résulté, affirmait-il sans cesse, du fait que le pays était composé de soixante tribus, il régna sans partage jusqu’à ce que la coupe débordât et que, pour éviter la succession des émeutes, la France de François Mitterrand lui imposât, en 1990, le multipartisme et la possibilité d’admettre un autre candidat que lui-même à l’élection présidentielle, tous les cinq ans.
Au début de son règne, car c’en était un (il se disait de famille royale et se comportait comme tel), il avait déjà choisi son successeur, un certain Henri Konan Bédié, qui effectivement lui succéda à sa mort en 1995, avant d’être renversé par un coup d’État militaire. Bédié fut comblé de bienfaits par le président, dont on murmurait qu’en fait, il était le fils naturel – probablement un bobard. Bédié fut mis à la tête du ministère des Finances, avant d’être bombardé président de l’Assemblée nationale, puisque la Constitution prescrivait que l’intérim du président de la République devait être le titulaire de ce poste.
Comme ministre des Finances, Bédié accomplit un exploit remarquable : il s’était mis en tête de décrocher un doctorat, en sciences économiques je crois, et y parvint en effet, mais pas de la manière habituelle ! Il chargea un coopérant français de lui écrire sa thèse, et le paya cinq mille francs français de l’époque (762 euros), par mois, et cela durant dix mois. Présentée sous son nom, la thèse fut validée, et il devint « le docteur Henri Konan Bédié », titre qu’on lui donna jusqu’à la fin... même quand il se fit pincer ! En effet, un journal local mit la main sur les factures de ces versements mensuels et les publia : le ministre avait eu la bêtise de les faire régler par son ministère et de laisser mettre noir sur blanc les pièces justificatives de ces sorties d’argent !
Le scandale devenu public, le président de la République convoqua son ministre chez lui, dans sa villa du quartier de Cocody, et... le gifla ! Mais, magnanime, il accepta néanmoins de pardonner, comme cela se fait beaucoup en Afrique, et le « punit » en le nommant... ambassadeur à Washington. Quelques années plus tard, le tricheur rentra en grâce et, comme dit plus haut, devint président de l’Assemblée nationale, puis président de la République. Il vit toujours, et il est candidat à la Présidence de son pays, bien qu’ayant dépassé l’âge légal pour se présenter (Houphouët-Boigny avait officiellement 90 ans quand il se présenta pour la dernière fois).