Vivent les dictatures !
Je pense qu’on n’a jamais mieux exprimé l’indifférence à l’égard des pauvres et des sans voix que dans le dialogue écrit en 1949 par Graham Greene pour le film de Carol Reed Le troisième homme, tiré d’une nouvelle de Greene. Dans cette histoire, Harry Lime, parfaite ordure, a fait du trafic de pénicilline délayée, qu’il a revendue sous le manteau, ce qui a envoyé de nombreux enfants à l’hôpital, rendus infirmes par le traitement. Il s’en justifie ainsi auprès de son ami Holly, et, lui montrant les passants anonymes – et minuscules, vus du haut de la Grande Roue de Vienne –, lui demande : « Éprouverais-tu de la pitié si un de ces points cessait de bouger ? Si je t’offrais 20 000 livres pour chaque point immobilisé, refuserais-tu mon argent, ou compterais-tu le nombre de points à supprimer en fonction de tes besoins ? [...] Nul ne se soucie plus des individus. Les gouvernements non plus. Ils parlent du prolétariat. Moi, des gogos. »
Et, un peu plus tard, mais cette fois le dialogue a été écrit par Orson Welles, l’interprète du personnage : « L’Italie, sous les Borgia, a connu trente ans de terreur, de sang... mais ça a donné Michel-Ange, de Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu la fraternité, cinq cents ans de démocratie et de paix. Ça a donné quoi ? La pendule à coucou ! »
(Bien entendu, Welles, encore homme de gauche – il a bien changé par la suite –, ne prenait pas cette opinion à son compte. C’est le personnage qui parle, pas l’acteur)