Le colis de la mort
Cet après-midi, j’ai voulu envoyer un colis à une amie. Je me suis donc rendu au seul bureau de poste de mon quartier (les deux autres bureaux de mon arrondissement sont fermés « pour travaux » [sic], et je rappelle qu’en 1781, lorsque la reine Marie-Antoinette a ordonné que l’on construise le Théâtre de la Porte-Saint-Martin afin de remplacer l’Opéra sis au Palais-royal et qui avait brûlé, les travaux n’ont duré que... quatre-vingt-neuf jours, pour une salle de 1800 places). Je n’avais pas fait une telle opération depuis des mois, or, entretemps, les mœurs postales ont bien changé.
Rappel : naguère, pour envoyer un colis par la Poste, vous apportiez votre paquet au bureau le plus proche de chez vous, le déposiez sur le comptoir du guichet idoine, l’employé le pesait, en déduisait le montant de l’affranchissement, vous payiez, il collait les timbres sur l’emballage, et tout était dit.
Mais ce n’était pas MODERNE ! Il urgeait de changer tout ça, qui relevait des pratiques d’un monde arriéré.
Aujourd’hui, lorsque j’ai innocemment posé mon paquet sur le même comptoir, l’employée, bien que n’étant pas occupée le moins du monde, a refusé de le prendre et m’a renvoyé « vers l’automate ». Cet automate est la machine qui délivre, non pas des timbres-poste puisque cela n’existe plus, mais des vignettes très laides qu’elle imprime elle-même, après que vous lui ayez fait savoir que votre envoi est une lettre (ou un paquet), qu’il doit être expédié en France, que vous ne désirez pas l’envoyer en recommandé ni par la voie la plus rapide, que vous ne désirez pas non plus un récépissé pour la somme que vous allez payer, que vous comptez payer en pièces ou avec une carte bancaire (il préfère, les pièces sont très mal vues et il les rejette neuf fois sur dix), il commence à imprimer alors la vignette, non sans vous demander si vous désirez un reçu (un reçu pour un timbre !), et laisse enfin tomber son chef-d’œuvre dans un bac, où vous n’avez plus qu’à le récupérer et à le coller sur votre paquet. Puis vous rapportiez le paquet dûment affranchi vers le comptoir prévu pour. Et je précise que la notion de colis ordinaire a disparu, qu’on ne connaît plus que le Colissimo, ce qui a permis de doubler le prix des affranchissements.
Mais, ce jour, j’ai eu droit au grand jeu : une fois parvenu devant l’automate, un autre employé, d’ailleurs très obligeant, est accouru pour m’aider à : 1. taper sur un clavier virtuel mon nom complet et mon adresse ; 2. taper le nom et l’adresse de la destinataire ; 3. préciser que je faisais un envoi non recommandé à destination de la France ; 4. préciser que je comptais payer avec ma carte bleue ; 5. préciser que je ne voulais pas de reçu ; 6. introduire ma carte bleue dans la machine ; 7. taper mon code secret ; 8. attendre – longuement – que la vignette, très grande cette fois, soit imprimée ; 9. la remettre à l’employé secourable, qui a utilisé son téléphone mobile afin de scanner la figurine (le QR) imprimée sur ladite vignette afin de conserver le souvenir de toutes ces opérations ; 10. laisser tout le système téléphone + imprimante imprimer un reçu des opérations ; et 11. enfin, lui permettre de prendre possession de mon paquet, m’autorisant enfin à quitter ce lieu de perdition.
Je plains les personnes âgées qui ignorent tout de ces automates qui nous facilitent tant la vie. Le taux de suicide a dû augmenter, cette année.
(NB : je suppose qu’en province, c’est moins ardu, et qu’on a toujours affaire à des êtres humains dans les opérations de la vie courante. Profitez-en, chers provinciaux, ça ne va pas durer)