Un autre salaud, aussi impuni
Ce matin, j’ai entendu sur France Inter la revue de presse de Claude Askolovitch. Je ne le fais jamais, pourtant, cette fois, je reproduis ci-dessous le texte de cette chronique, où Askolovitch flinguait en beauté une kyrielle de notables de la gauche, parmi lesquels il n’oublie ni Kouchner ni Mitterrand, ni Sartre, ni Barthes, lesquels ont, en leur temps, tressé des couronnes à Gabriel Matzneff. Cet écrivain, grand amateur de très jeunes filles et garçons, se vantait alors de coucher avec des mineurs. Dans son livre Les moins de seize ans, il rapportait que les deux plus doués pour l’amour, parmi ses partenaires, avaient été une fille de quinze ans et un garçon de... douze ans ! Ce livre, que j’ai lu, n’a jamais été censuré. Néanmoins, Askolovitch a oublié dans sa liste Roger Peyrefitte, qui, dans son livre Notre amour, publié en 1967, raconte en long et en large son histoire d’amour avec un très jeune garçon – il avait douze ans et demi –, qu’il ne nommait pas. Mais, quelques années plus tard, parce que ce garçon, ayant grandi, l’avait escroqué en vendant à réméré son appartement proche du Bois de Boulogne, il avait révélé dans un autre livre, L’enfant de cœur (orthographe authentique) son identité, Alain-Philippe Malagnac, devenu entretemps producteur de Sylvie Vartan et... mari d’Amanda Lear (photos ICI). D’ailleurs, j’ai parlé de tout cela... il y a onze ans, LÀ.
Mais voici l’extrait de la chronique d’Askolovitch :
Le consentement, aux éditions Grasset, en librairie la semaine prochaine, mais qui déjà, dans des journaux, amorce ce qu’on va appeler tristement « un scandale », alors qu’il n’est que bouleversant, c’est le livre d’une femme très belle, à la voix douce, de langue classique, lumineuse et juste, qui a le mot vrai, qui sait penser – me dit « Le magazine littéraire » dans un très beau portrait –, Vanessa Springora, patronne des éditions Julliard, qui connaît les hommes de lettres. Les écrivains, dit-elle, ne sont pas toujours des personnes qui gagnent à être connues, on aurait tort de croire qu’ils sont comme tout le monde, ils sont bien pires, et notamment un écrivain, aujourd’hui vieillard oublié, mais qui, il y a vingt ans, trente ans, était un dandy, propre, massé, le crâne épilé, aimable, que Paris adorait, et que Bernard Pivot invita cinq fois à Apostrophes : Gabriel Matzneff, qui collectionnait les amants, les amantes de onze ans, douze ans, quatorze ans, et parmi ces amantes, il y eut Vanessa, qu’il connut en 1985, quand elle avait treize ans, une proie aux yeux bleus qui lisait Eugénie Grandet, et dont il s’empara corps et âme, l’ayant rassurée de bonne réputation, de lait, de mots doux, de mousses au kiwi. Elle fut la marionnette de l’ogre. À quatorze ans, à la sortie du collège, on n’est pas supposé vivre à l’hôtel avec un homme de cinquante ans, ni se retrouver dans son lit, « sa verge dans la bouche à l’heure du goûter », écrit dans son livre Vanessa Springora. Je retrouve cette phrase dans « Le Monde », et dans « L’Express », qui raconte une folie d’un autre siècle, qu’on maquillait du mot de liberté, quand Matzneff, sans rien cacher, était un homme adulé de complaisance. Ah, sacré Gabriel, se souvient « L’Express », qui se faisait passer pour un chef scout, afin d’échapper au père dont il avait happé l’enfant, « un châton de douze ans, un gosse voluptueux », écrivait-il. En 1990, une romancière québécoise, Denise Bombardier, avait dit son dégoût à Matzneff sur le plateau d’Apostrophes, elle s’était retrouvée ostracisée au cocktail après l’émission, raconte-t-elle au « Monde », et puis insultée, dénigrée par la fine fleur de la critique littéraire française. En 1977, Matzneff avait lancé une pétition pour soutenir des gens qui s’étaient amusés avec des mineurs de douze et treize ans, le texte avait été publié par « Le Monde », et signé d’Aragon, de Sartre, de Beauvoir, de Roland Barthes, du poète Francis Ponge, d’André Glucksmann, de Bernard Kouchner. Imaginez ! L’hôtel où Matzneff se repaissait de Vanessa était payé par Yves Saint-Laurent, lis-je dans « L’Express ». Un jour, Vanessa y reçut un appel téléphonique de François Mitterrand, qui venait prendre des nouvelles de son « cher Gabriel », hospitalisé. Et c’est donc, au-delà de Vanessa Springora elle-même, qui se reconstruit, une aberration collective. Et alors nous vient, pour des hommes admirables, un certain mépris. Votre rôle est d’accompagner Gabriel « sur le chemin de la création et de ses caprices », ordonna un jour Cioran, curieux aphorisme, à Vanessa Springora. Dans « Le Monde », les amis de Matzneff se désolent que les temps ont changé. Frédéric Beigbéder redoute que Gabriel se suicide, il en est d’autres qui pourraient, se relisant, mourir de honte, s’ils vivent encore ici-bas.