Le sécateur coupe toujours deux fois

Publié le par Yves-André Samère

Selon moi, la plus belle scène de Cyrano de Bergerac se trouve peu avant la fin, au cinquième acte : blessé à mort, Cyrano prie Roxane de lui laisser lire la dernière lettre de Christian – en fait, c’est lui, Cyrano, qui l’avait écrite, comme toutes les autres : « Roxane, adieu, je vais mourir... ». La lettre est longue, la nuit est tombée, Cyrano, en fait, ne lit pas, mais se remémore le texte qu’il n’a pas oublié après tout ce temps. Et Roxane, qui comprend enfin, s’étonne : « Comment pouvez-vous lire à présent, il fait nuit ? ». Comme son cousin ne répond pas, elle s’écrie :

 

« Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle

D’être le vieil ami qui vient pour être drôle ! »

 

Voilà, pour moi, les deux plus beaux vers de la pièce. Pas tellement pour leur musique, car ils sont assez banals, et la répétition du verbe être est malencontreuse. Mais ils résument toute l’intrigue amoureuse, éclairent le caractère de Cyrano et la nature de sa généreuse supercherie, et marquent la prise de conscience du seul personnage féminin ayant traversé la vie du héros.

Eh bien, dans la mise en scène tant vantée que Denis Podalydès a faite pour la Comédie-Française (et qui a été récompensée lors de la cérémonie des Molières), ces deux vers ont été coupés ! Or on ne peut pas prétendre que c’est parce que la pièce était trop longue, puisque le metteur en scène a rajouté une chanson en gascon qui n’existe pas dans le texte original d’Edmond Rostand. Du reste, le vrai Cyrano, né à Paris, ne parlait probablement pas le gascon.

Il doit s’agir d’une sorte de malédiction : déjà, en 1990, Jean-Paul Rappeneau avait adapté Cyrano de Bergerac pour le cinéma ; or lui et son scénariste et dialoguiste Jean-Claude Carrière avaient aussi supprimé les mêmes vers (ainsi que pas mal d’autres).

J’en viens à me demander, sans pouvoir vérifier puisque je n’ai pas le texte de la pièce et que je me base sur mes souvenirs d’enfance, si ces deux vers ont bien existé... Mais je ne crois pas les avoir imaginés.

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