Amour cadenassé
Mon titre d’aujourd’hui est certes un peu neuneu, et c’est par pure démagogie que je l’ai choisi : il faut bien courir après les lecteurs...
Donc, depuis 2008 si nous sommes bien renseignés, le Pont-des-Arts, qui traverse la Seine à Paris entre le Louvre et l’Institut, est le théâtre d’un phénomène curieux et sympathique. Comme il est équipé de garde-fous grillagés, les amoureux qui passent par là ont pris l’habitude d’accrocher à ces grillages des cadenas sur lesquels ils ont écrit leurs prénoms. Et, la chose faite, ils jettent la clé dans la Seine. En quelques années, ces décorations inattendues, qui se comptent à présent en dizaines de milliers, ont entièrement recouvert les grilles. Si bien que quelques grincheux se sont émus, et ont prétendu que le poids de ces accessoires faisait courir un danger au pont. Craignent-ils qu’à l’instar de la défunte piscine Deligny, il en vienne à couler par le fond ?
Bref, saisies par ces plaintes, la mairie de Paris s’est émue, et, prenant prétexte que, dimanche 8 juin, deux panneaux composant la rambarde se seraient écroulés, elle a fait enlever les cadenas. C’est du moins ce que nous a raconté France Inter, ce matin, au journal de sept heures et demie, car il importait de commencer par cette nouvelle capitale la journée de ce vendredi 13 sur le journal radiophonique le plus écouté de France.
Moi, vous me connaissez ? Je me suis empressé d’aller sur place afin de vérifier que notre chère radio ne tombait pas son travers habituel, raconter des bobards non vérifiés, et glanés sur Internet par des journalistes cossards. Voici donc, avec l’illustration qui s’imposait, le résultat de mon enquête.
Le Pont-des-Arts, long de cent cinquante mètres, est bordé sur les deux côtés par cinquante-six panneaux et demi (ben oui, du côté de l’Institut, les derniers panneaux sont deux fois plus courts), mesurant 2,65 mètres de large chacun. Donc au total, on dénombre cent treize panneaux grillagés, tous riches en cadenas – vendus sur place par d’habiles commerçants, qui n’ont pas perdu le nord –, au point que lesdits panneaux en sont devenus opaques. Et sur ces cent treize panneaux, les employés de l’Hôtel de Ville, armés d’un coupe-boulons, en ont nettoyé... DEUX ! Lesquels, immédiatement après cette opération d’utilité publique, ont été regarnis de centaines de nouveaux cadenas par d’autres amoureux odieusement récidivistes, de toute évidence animés des pires intentions ponticides.
Je souhaite bon courage aux édiles de la Ville de Paris, ainsi qu’aux employés qu’elle enverra sur place afin de nettoyer un à un les cent onze panneaux qui restent. Avant qu’ils aient achevé, la chère Anne Hidalgo, qui a ainsi réactualisé le mythe de Sisyphe, aura terminé son mandat. Sous les vivats, sans doute.