Haro sur les juges d’instruction !
Ma petite histoire d’hier sur Josiane Baladur ne servait que d’introduction. En fait, le roman policier Le curieux, de Jean-Louis Debré, publié en 1978 et réédité en 1986, n’était pas anodin, car il révélait une opposition politique interne – et probablement unique – au sein de la faction alors au pouvoir : la droite. Rappelons qu’au moment de la première publication de ce livre, ladite droite est au pouvoir depuis vingt ans sans interruption, avec le gaullisme, puis le giscardisme. Or cette droite (mais la gauche n’est pas loin de penser de même) a horreur des « petits juges », comme disent les journaux (variante : des « juges rouges »), magistrats qui, indépendants théoriquement, poussent trop loin leurs investigations, au risque de gêner le Pouvoir en place.
Le livre de Debré, qui a quitté alors la magistrature pour devenir député, mais qui reste très attaché à son premier métier, dévoile la tentation de TOUS les gouvernements de l’époque et même d’après (voyez Mitterrand, qui avait gardé un très mauvais souvenir des enquêtes sur lui lors de l’affaire de l’Observatoire, et de la perte de son immunité parlementaire) : faire taire les juges d’instruction. En réalité, son roman est entièrement basé là-dessus, au point d’imaginer le préfet de police de Paris envisageant de faire assassiner un juge gênant, puis réussir, par d’autres moyens, à le pousser au suicide ! Pour un député gaulliste, c’était gonflé, mais justement, hier soir sur France 3, on a diffusé un documentaire qui avance que Robert Boulin, ministre de Giscard, aurait été froidement assassiné parce qu’il menaçait de mettre les pieds dans le plat au sujet de la Françafrique, ce qui dérangeait pas mal de monde au sein même du gouvernement.
Souvenez-vous : il n’y a pas si longtemps, not’ bon maît’, monsieur Sarkozy, avait conçu le projet de remplacer les juges d’instruction par un triumvirat de juges. Il avait chargé de cette mission Rachida Dati, très connue place Vendôme, mais davantage chez les bijoutiers de la place que dans son ministère, celui de la Justice, providentiellement situé juste en face. Cette idée n’était pas de lui, et le livre de Debré démontre qu’elle était déjà dans l’air en 1978 ! Debré qualifie ce projet, qui a échoué, de « projet de loi aberrant, qui remet en cause leur fonction et leur indépendance [celles des juges] d’hommes au-dessus des passions. De libres et intouchables, les voilà en passe d’être gouvernés à merci, et d’accepter les compromis inévitables dès que l’on n’est plus seul à décider ».
Avouez que, pour un homme que certains humoristes s’évertuent à traiter de débile mental, ce n’est pas si mal...
Le danger semble écarté, pour l’instant. Mais les mauvaises idées ont la vie dure. La preuve : trente ans après le roman dont je parle, le président en place avait encore en tête ce funeste projet.