La Fontaine ne buvait pas de cette eau
Le règne de Louis XIV a été peuplé d’immenses écrivains, et je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler leurs noms. Mais leur talent, à une époque où le droit d’auteur n’existait pas (il n’a été instauré qu’un siècle plus tard, sous l’impulsion de Beaumarchais), ne leur aurait pas rapporté de quoi vivre. De sorte que la principale vertu de cette canaille que fut Louis XIV a été de pensionner les artistes de talent, quoique pas sans contrepartie, puisque TOUS ont copieusement passé la brosse à reluire sur les escarpins du souverain – mais c’était ça, ou vivre dans la dèche comme Cyrano, qui n’était pas du genre à lécher des bottes, fussent-elles royales. Au fait, vous avez lu Cyrano ? Je vous le conseille. Ses livres sont en vente sur Amazon.
Donc, des génies, mais cireurs de pompes. Tous ? Non ! Seul à résister encore et toujours à la courtisanerie, Jean de La Fontaine ne s’est pas plié à la coutume, bien au contraire. En effet, en 1658, il était entré au service de Nicolas Fouquet, le surintendant des Finances de Loulou la Fistule, et il avait eu la faiblesse de lui rester fidèle après son arrestation – l’une des toutes premières infamies commises par le prétendu Grand Roi, qui fut en réalité un ignoble salopard. Après cette arrestation (opérée par d’Artagnan, mais de ça, Alexandre Dumas ne parle pas), La Fontaine tente de plaider pour son protecteur, et il écrit en 1662 le seul texte qui caresse le roi dans le sens du poil, une Ode au Roi. Sans aucun effet, on l’imagine, la vanité royale ayant été blessée par la richesse un peu trop ostensible de Fouquet.
On a prétendu que Louis XIV et surtout son ministre Colbert avaient pris La Fontaine en grippe, au point de le faire exiler dans le Limousin. Mais, plus probablement, ces deux puissants l’ont dédaigné, et se sont contentés d’ignorer son existence (et cela n’a pas empêché son élection à l’Académie française, en 1684). En tout cas, cette version a été prise au sérieux pour un film idiot, Jean de La Fontaine, le défi, réalisé par Daniel Vigne, joué par Lórant Deutsch, et sorti le 18 avril 2007, où le dialoguiste avait été assez sot pour inclure Molière dans le récit et massacrer un vers du personnage de Tartuffe (« Et cela fait paraître [sic] de coupables pensées », alexandrin de treize syllabes...).
Au fait, bien qu’au Père-Lachaise le cénotaphe de Molière et de La Fontaine leur soit commun, ils ne se sont probablement pas connus. Encore une légende. Combien de visiteurs de ce cimetière vont-ils croire qu’ils étaient très liés ?