Message présidentiel de ce soir

Publié le par Yves-André Samère

Mes chers compatriotes, vous serez d’autant moins surpris de me voir apparaître sur votre écran, que je vous l’ai annoncé hier, et que, comme on dit abusivement, c’est une coutume que le président de la République vienne, le soir du 31 décembre, vous présenter ses vœux. Eh bien non, il n’en sera pas de même cette année, ni les années suivantes. Une coutume, les vœux ? D’une part, on voit mal pourquoi nous devrions être esclaves des coutumes : nous en connaissons de multiples, qui sont soit barbares, soit absurdes. Essayons d’être adultes. D’autre part, pourquoi considérer comme une coutume une pratique qui n’a été instaurée que par mon prédécesseur Charles De Gaulle, qui ne s’en servait que pour vanter sa politique ? Et puis, où a-t-on jamais vu que ces rituelles incantations soient jamais suivies du moindre effet ? Tenter de vous faire croire que vous serez plus heureux et en meilleure santé parce que le président de la République vous l’a souhaité, c’est offensant à la fois pour lui, qui s’abaisse à vous flatter, et pour vous, que l’on traite comme des enfants en bas âge. Par conséquent, je ne vous infligerai pas cette imposture manifeste. Mieux : je donne instruction, à tous les services qui dépendent de mon autorité, de supprimer les traditionnelles cérémonies de présentation des vœux, qui occupaient la majeure partie du mois de janvier, budgétivores et dévoreuses de temps. Il ne vous a pas échappé, et cela peut vous avoir scandalisés, que ces cérémonies rassemblent toujours les mêmes personnalités, qui ont bien d’autres occasions de se rencontrer au cours de l’année, et qui viennent dans les palais nationaux boire et manger à vos frais, chers Français qui n’y êtes jamais invités.

Hier, j’avais promis de vous parler de ma façon de vivre à la tête de l’État. Elle sera moins « normale », promesse mensongère car impossible à tenir, que simple. Avant de songer à mettre en vente le Palais de l’Élysée, inutilement et tapageusement fastueux – nous envisagerons cela ultérieurement, si c’est nécessaire –, je considère comme abusif que le chef de l’État ait un train de vie ruineux, conserve à sa disposition une armée de cuisiniers à son service exclusif, ne consomme que des produits de luxe, aille déjeuner dans les plus grands restaurants de la capitale, voire à l’autre bout du pays en empruntant un hélicoptère payé par les contribuables, et voyage sans arrêt, à bord d’un avion qu’il s’est fait construire ou aménager, toujours pour son usage exclusif. Je rappelle que la France est une république, pas une monarchie de droit divin. Je ferme donc les cuisines de l’Élysée, sans trop de soucis pour le personnel qui s’y trouve actuellement, car la réputation du chef officiant ici lui ouvrira d’autres portes, à lui et à son équipe pléthorique. Désormais, les quelques dîners officiels auxquels ma fonction me contraint seront assurés par un traiteur engagé ponctuellement, et qui coûtera beaucoup moins cher aux finances nationales. Et, pour la vie quotidienne, une simple cuisinière suffira au nécessaire, se contentant de préparer des repas familiaux : on vit très bien sans caviar, sans foie gras, sans huîtres et sans champagne, savez-vous ?

Il va sans dire que, déchargé du souci de conduire moi-même les affaires politiques qui sont du ressort du Premier ministre choisi parmi vos élus, je n’aurai plus à voyager. Les conférences internationales se font parfaitement grâce aux outils modernes, car la visioconférence rend inutiles ces voyages ruineux et qui ne sont que des entreprises de communication, c’est-à-dire de charlatanisme, destinées à se rallier les opinions publiques. Je ne m’y prêterai en aucun cas, et accomplirai ma tâche depuis mon bureau, comme tout le monde et à tout moment.

Enfin, je me garderai bien d’étaler tous les détails de ma vie publique ou privée, comme cela s’est fait avec certains de mes prédécesseurs. Il n’y aura donc plus de journalistes accrédités à la présidence de la République, ni de photographes. Ainsi, je ferme la salle de presse de la présidence, et ne ferai faire que ma photo officielle, par un photographe qui ne viendra sur place que cette seule fois. Je ne donnerai aucune de ces conférences de presse qui n’étaient que des exhibitions ridicules et indécentes où le chef de l’État se pavanait en faisant un numéro de music-hall devant des journalistes qui riaient servilement.

En outre, et parce que je considère que servir son pays en le dirigeant, c’est un honneur et non une source de gros revenus, je supprime le salaire du président, et me contenterai de ce que je gagnais dans mon précédent métier. Simplement, et tant que je serai logé par l’État, je n’habiterai plus à mon ancien domicile, puisque je dois rester disponible à tout moment. Je retrouverai ce logement à la fin de mon mandat.

Il y aura d’autres changements, et je vous les ferai connaître par communiqués officiels, car je ne paraîtrai plus à la télévision. Bonsoir.

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