Ma vision de la philosophie

Lorsque j’avais le désagrément de faire des études – quelle horrible perte de temps ! – jamais je n’ai pu m’intéresser à la philosophie. Devoir retenir qu’Aristote avait dit telle chose, et que Kirkegaard en avait dit une autre qui le contredisait, impossible de trouver quelque intérêt que ce soit à ces bisbilles que séparaient plusieurs millénaires, sachant qu’un troisième philosophe, à n’en pas douter, par exemple ce redoutable emmerdeur de Sartre, ne serait pas d’accord avec les deux premiers et, s’appuyant sur une philosophie qu’il avait piquée à, justement, Kierkegaard mais aussi Heidegger – le « copain » d’Hannah Arendt –, mettrait son grain de sel dans la discussion. Laquelle, du coup, deviendrait limpide, pas vrai ?

Heureusement, j’ai eu cette année-là un professeur assez intelligent pour comprendre que, de très loin le plus jeune de ma classe, j’étais trop jeune pour l’être assez (intelligent), et il avait vite pris son parti de ma redoutable manie : faire, de mes dissertations de philosophie, une sorte de terrain de jeu où je m’amusais à tourner en dérision les notions qu’il nous enseignait. Vous en trouverez, des professeurs comme celui-là ! Par exemple, s’il affirmait que nos sens sont trompeurs, j’affirmais dans ma dissertation suivante, et toujours en m’appuyant sur le cinéma, que lorsque je voyais sur un écran telle actrice célèbre, disons Isabelle Adjani, et tel homme politique pas moins célèbre, par exemple Jean-Luc Mélenchon, mes sens avait beau être trompeurs, je distinguais très bien la première du deuxième. Il avait lu ce passage en classe, s’était marré, et avait déclaré que si l’homme descendait du singe (il savait bien que non), Mélenchon, au contraire, semblait y remonter. Donc mes sens ne me trompaient pas tant que cela.

Or c’est à cet homme – mais non, pas Mélenchon – que je dois d’avoir découvert ce principe philosophique : l’évidence n’est PAS le critère de la vérité ! Autrement dit, ce que tout le monde croit, parce que c’est é-vi-dent, a de grandes chances d’être une légende, voire un pur bobard ; du type « Jeanne d’Arc à Chinon reconnaît le roi alors qu’elle ne l’a jamais vu auparavant ». Et ça, je ne l’ai jamais oublié, puisque, l’avez-vous remarqué ?, je le mets en pratique tous les jours en contredisant à peu près tout ce qui se publie, et à quoi le public croit dur comme fer.

Un autre jour, je vous donnerai un très bon exemple, à propos des voyages et de la navigation aérienne. Patience.