Mentir, ou pas ?
Je l’avoue, j’ai un petit défaut : je ne mens jamais. Sans doute parce que je pense qu’aucun être humain ne mérite qu’on se fatigue les méninges afin de le rouler dans la farine. Alors, tant pis. Corollaire de ce petit défaut : je ne supporte pas qu’on me mente, et si cela se produit, la sanction est immédiate, je romps toute relation avec le menteur.
Il y a quelques années, un membre de ma famille, docteur en chimie ET auteur de bandes dessinées, qui depuis peu faisait partie de l’équipe d’un mensuel pas encore paru mais en cours de préparation, m’avait fait engager dans ce mensuel, lequel m’offrait de publier, non seulement mes critiques de cinéma, mais aussi tout article que je lui enverrais. J’avais accepté, précisant (naïvement) que je me fichais du salaire, d’ailleurs microscopique, voire symbolique, mais que j’exigeais un engagement de la part du rédacteur en chef : qu’on ne modifierait pas la moindre lettre de mon texte. Vous voyez la référence, celle de Cyrano faisant à un noble qui lui offrait de le pistonner auprès du cardinal de Richelieu afin de faire publier ses œuvres, et qui précisait « Il vous modifiera seulement quelques vers », cette réponse outrée : « Impossible, Monsieur, mon sang se coagule / En pensant qu’on y peut changer une virgule ». Et ledit rédacteur en chef m’avait aussi promis de me laisser toute la page 12, si bien que je lui avais envoyé une trentaine d’articles ! Or, ayant reçu la maquette du numéro 1, j’avais constaté que, non seulement on ne publiait qu’un seul article de moi, le compte-rendu du dernier film de Clint Eastwood, mais aussi que, dans cet article, on avait transformé mes guillemets français en guillemets droits. Je lui avais aussitôt flanqué ma démission, avant même que sorte ce numéro 1. Ce qui me valut une brouille définitive avec ce parent qui m’avait fait engager. Eh oui, je puis couper les ponts avec n’importe qui, et sans tarder.
Et donc, j’exige en toute occasion qu’on ne « colore » pas la vérité, serait-elle pénible. C’est valable aussi pour les médecins : si jamais on détecte que je dois mourir d’un cancer, qu’on me le dise carrément, et qu’on n’invente pas que je souffre d’une simple grippe ou d’une allergie au gluten, bien que ce soit à la mode.