Comment ne pas avoir le Goncourt
Hier soir, j’ai fini le livre d’Emmanuel Carrère intitulé Yoga, que les jurés du Prix Goncourt ont éjecté de la liste des concurrents à ce prix, parce que, excellente raison, ce livre n’est pas un roman. Exact, c’est un gloubi-boulga, un hommage à l’auteur qu’il se rend à lui-même, assez indécent, et je ne l’ai guère aimé. Pourtant, les mêms jurés ont bien donné leur prix à Marguerite Duras, jadis, alors qu’elle ne parlait que d’elle-même dans L’amant.
Néanmoins, un passage dans Yoga m’a intéressé, en ceci qu’il me concerne plus ou moins. Voici.
J’ai constaté ce matin que j’avais écrit ici 9002 articles (oui, neuf mille deux, ce n’est pas une de mes fautes de frappe) depuis mai 2007. Je ne pense pas que beaucoup d’internautes en aient écrit autant, mais peu importe. Ce qui importe, c’est que Carrère raconte que son ex-éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, décédé il y a deux ans et demi, s’était stupéfié de découvrir que Carrère ne savait pas taper à la machine, et rédigeait tous ses livres en tapant avec un seul doigt de la main droite. Il l’avait un peu raillé, et Carrère s’était décidé à faire comme (presque) tout le monde en apprenant à taper avec tous ses doigts. Passionnant, n’est-ce pas ?
Eh bien, sachez que je suis dans le même cas : je n’ai jamais été capable d’écrire comme le font tous les virtuoses du clavier, et je tape, moi aussi, tous mes textes, mais avec un doigt de chaque main – ce qui fait de moi un meilleur dactylographe, c’est évident, puisque j’utilise deux doigts au lieu d’un seul. Et ce détail a fait que Carrère m’est apparu un peu plus humain.
Bien. Je viens encore de succomber à ce travers de Carrère et de quelques autres, en parlant de moi. Mais, après tout, Montaigne n’a fait que ça toute sa vie, et Molière, un peu, au contraire de Victor Hugo qui, à ma connaissance, n’a guère parlé de lui, alors qu’il se prenait pour le meilleur écrivain de son époque (et de tous les temps). Naturellement, je ne changerai rien à mes pratiques, c’est trop tard pour m’améliorer ! Je ne deviendrai jamais un Carrère, et n’obtiendrai pas le Goncourt, ce dont je me fiche bien.