Breakfast at Picard’s
Je ne vais quasiment jamais au restaurant. M’en ont éloigné deux ou trois mésaventures peu ragoûtantes. Ainsi, un soir, à Casablanca, j’ai trouvé un ver gigotant dans ma salade. J’ai fait venir le patron et lui ai confié que, végétarien militant, je ne pouvais tolérer qu’on tente de faire de moi, et à mon insu, un lombricophage. Et comme j’élevais la voix, il ne protesta pas lorsque je partis sans payer. Plus tard, à Bouaké, c’est un autre ver que je dénichai dans mon couscous. Cuit, celui-là. Il n’aurait donc pas souffert si j’avais eu la velléité de le déguster. Là encore, je suis parti, laissant mes amis payer. Et je vous passe la biche carbonisée ou la pintade sans goût – un comble. En fait, je n’ai apprécié mon dîner qu’un soir, à Saragosse, avec un steak sublime suivi d’une omelette norvégienne parfaite.
Vous me direz que le cadre de mes déboires se situait dans des restaurants bon marché, et que je n’aurais sans doute pas trouvé de ver, mort ou vif, dans mon couscous, si seulement j’avais déjeuné à la Tour d’Argent. C’est vrai, on n’y sert pas de couscous. Et puis, j’imagine que le chef Stéphane Haissant ne tolère la présence d’aucun bilatérien dans sa cuisine. Mais tolère-t-il la présence des fours à micro-ondes ?
Eh oui, c’est la grande question : croyez-vous vraiment qu’on vous serve de la cuisine préparée le jour même, juste avant le service, dans un établissement qui possède une dizaine de tables et vous présente une carte longue comme la rue de Vaugirard ? Soyons sérieux, si c’était le cas, faute de dîneurs, des quintaux de bonne nourriture, préparée à la main, finiraient chaque jour dans les poubelles, au grand bonheur des chats du quartier. En fait, presque partout, on vous sert du surgelé, et on vous apporte en cinq minutes un plat qui, normalement, aurait nécessité des heures pour mijoter tout comme il faut : le pot-au-feu ou le tagine prêt en un éclair, c’est rare.
Si bien que, en fin de compte, vous avez plus vite fait d’aller vous ravitailler chez Picard !