Films détournés

Publié le par Yves-André Samère

Le film Innocence of muslims, vous ne l’avez pas vu et ne le verrez sans doute jamais, car, d’une durée de deux heures, il n’a jamais été mis en ligne. Comme l’a rappelé Vincent Glad hier soir au Grand Journal, il n’a été présenté qu’une seule fois, devant un public très restreint, dans un cinéma d’Hollywood Boulevard. Ce qu’on peut voir sur Internet, et ce dont ont entendu parler les excités qui attaquent des ambassades et tuent des innocents, c’est un simple montage d’un quart d’heure. Vous le trouverez facilement sur YouTube, car le gouvernement des États-Unis n’a pas pu obtenir de ce site, qui appartient à Google, que les extraits soient enlevés. Par conséquent pour le voir, tapez « Innocence of muslims » dans la boîte de recherche de YouTube, et, parmi les innombrables réponses que vous obtiendrez, choisissez celui dont la durée indique 13:51.

À part cela, son auteur, un Égyptien émigré à Los Angeles, s’est sans doute inspiré de Federico Fellini pour son tournage, car il n’a jamais donné de scénario à ses acteurs. C’est pourquoi ceux-ci ne savaient pas quel genre de film ils faisaient ! L’un d’eux, Tim Dax (c’est un pseudo, bien entendu), un acteur porno gay, un malabar plutôt moche et reconnaissable à son visage tatoué, s’est expliqué dans un message électronique adressé au site Towleroad. Il dit avoir passé une audition pour un film intitulé Desert storm, dans lequel il était question de « guerriers anciens » (sic). Son personnage était censé s’appeler Sampson, et on ne lui a jamais montré le moindre scénario. Lorsque lui et ses camarades posaient des questions sur l’histoire, on leur donnait des réponses apparemment cohérentes avec ce qu’ils jouaient, mais la voix de son personnage dans le film n’est pas la sienne. Pour une semaine et demie de travail, il a été payé 75 dollars par jour, et il était nourri.

Le film a été post-synchronisé afin de remplacer, en certains endroits, les répliques d’origine par d’autres propos modifiant le sens des séquences ; ainsi, cette scène où une femme d’âge mûr commence une phrase, mais... change de voix et termine avec une accusation haineuse contre Mohammed (Mahomet pour les Français). Ce procédé rappelle une énorme blague qui avait été faite en 1973, avec un film de karaté de Kuang-chi Tu, Doo Kwang Gee, dont René Viénet avait entièrement doublé le dialogue : cela donnait un nouveau film qui avait été distribué sous le titre La dialectique peut-elle casser des briques ? (re-sic), et dans lequel les personnages combattaient en échangeant des propos de Sartre, de Michel Foucault et d’autres philosophes à la mode du moment. Je n’ai pas vu ce film, mais les cinéphiles racontent qu’il avait eu son petit succès au Quartier Latin. Il faut néanmoins noter que Viénet ne faisait que reprendre l’idée de Woody Allen qui, pour son premier film, en 1966, avait « détourné », comme on disait, un film japonais d’espionnage, International secret police: Key of keys : il y faisait la voix du projectionniste, et cela donna Lily la tigresse (en V.O., What’s up, Tiger Lily?), sorti en France avec quatorze ans de retard.

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