L’État, ce n’était pas lui !
La semaine dernière, Sophie Coignard est venue sur France Inter faire la promotion de son dernier livre L’oligarchie des incapables, écrit avec Romain Gubert. Je n’ai lu d’elle qu’un seul livre, L’omerta française, écrit avec Alexandre Wickham et publié en 1999, remarquable pamphlet qui a connu plusieurs suites, dont je regrette qu’elles n’aient pas été publiées en format de poche.
Sophie Coignard est une bonne journaliste, mais elle ferait une mauvaise historienne, car elle a cru opportun de caser ceci dans ses propos à l’antenne : « Louis XIV disait “L’État c’est moi”, et, en gros, les oligarques disent “L’État c’est pour nous” ».
Je veux bien qu’on fasse un mot pour vendre ses livres, encore faudrait-il rester authentique. Louis XIV n’a jamais prononcé cette phrase, « L’État c’est moi ». En réalité, cette citation, qui doit être la plus célèbre de notre Histoire, n’a jamais été prononcée, et voici ce qui s’est réellement passé : le 13 avril 1655, le Parlement est réuni en audience solennelle, et Louis XIV (qui ne gouverne pas encore puisque le Premier ministre Mazarin ne mourra qu’en 1661, et que lui-même alors n’a que dix-sept ans), revenant de chasser dans les bois de Vincennes, entre sans s’être annoncé dans la salle où siègent les juges, et lance ce discours : « Chacun sait combien ces assemblées ont excité de troubles dans mon État et combien de dangereux effets elles y ont produits. J’ai appris que vous prétendiez encore les continuer sous prétexte de délibérer sur les édits qui naguère ont été lus et publiés en ma présence. [...] Je suis venu tout exprès pour en défendre la continuation ». Et il sort aussitôt, sans que les parlementaires aient pu dire un seul mot.
Évidemment, c’est de la part du trop jeune roi une manifestation d’hostilité envers le Parlement, mais il n’a pas prétendu qu’il assimilait l’État à sa propre personne.