Saint Conducteur

Publié le par Yves-André Samère

Savez-vous ce qui est le plus pénible, le plus redoutable, le plus catastrophique pour l’animateur d’une émission de radio-télé qui accueille plusieurs invités, dont une poignée de chanteurs ? Je parie que vous hésitez. L’invité irascible, pas content d’être là et qu’on a réveillé trop tôt ? L’invité qui bégaye ? L’invité qui n’a rien à dire et qu’il faut accoucher au chausse-pieds ? L’invité idiot qui ne comprend pas les questions ? L’invité qui n’a qu’une seule idée, donc s’y accroche comme l’arapède à son rocher ?

Vous n’y êtes pas ! L’invité le plus redoutable, c’est celui qui intéresse tout le monde.

Étonnement de votre part. Vous croyiez (naïvement) qu’intéresser les auditeurs, et accessoirement les autres participants de l’émission qui dès lors pourraient s’animer un peu plus intelligemment que de coutume, c’est précisément ce qui valorise ladite émission, augmente son audience, fidélise le public à l’écoute, fait grimper l’indice de la station, et autres sucettes après quoi courent tous les pros des médias ? Non, vous n’y connaissez rien, mais vous avez des excuses : vous n’êtes PAS animateur !

L’animateur de radio-télé n’a pas les mains libres, il est l’esclave de son conducteur. Le conducteur n’a rien à voir avec Ben-Hur sur son char, c’est le programme, imprimé sur papier ou visible sur un écran d’ordinateur, et qui recense dans l’ordre chronologique toutes les séquences qui ont été prévues pour composer l’émission, à la minute près. Et comme les animateurs sont tenus de respecter le programme prévu, aurait-il été composé par eux-mêmes, et que rares sont ceux capables d’improviser pour faire à la volée une modification imprévue, ils sont pris de panique à la moindre perturbation, au moindre obstacle susceptible de bouleverser l’ordre de leur cher et sécurisant conducteur. Certes, pour l’auditeur ou le téléspectateur un peu au courant, c’est toujours rigolo. En revanche, pour l’animateur lui-même, c’est une torture.

Mais prenons un exemple. Aujourd’hui, dans son émission sur France Inter, cette pauvre Isabelle Giordano avait plusieurs invités, dont Alain Souchon, chanteur qui s’est révélé incapable de suivre les séquences prévues pour être un peu amusantes et n’a cessé de répéter « C’est difficile » (par exemple, de jouer au Premier ministre, une des rubriques les plus stupides de l’émission), et sur quoi on passera charitablement. Mais surtout, il y avait Hector Obalk ! Et c’est par lui que le calvaire d’Isabelle s’est installé.

Hector Obalk, je l’ai connu vers 1993, quand il venait faire des chroniques sur la peinture dans l’émission Paris Dernière, pilotée par Thierry Ardisson sur Paris-Première. Hector a toujours eu la vocation de critique d’art, et c’est passionnant de l’entendre expliquer un tableau, même et surtout si l’on n’y connaît rien. Il est le fils de la linguiste Henriette Walter, une dame intelligente, dont j’ai lu un des livres, dont il n’est pas étonnant qu’elle ait eu un fils aussi doué, il a écrit lui-même plusieurs ouvrages sur son sujet préféré, et il officie actuellement sur France 2 et sur Arte. Or Obalk, invité dans l’émission de la pauvre Isabelle à partir de midi moins dix, ne devait y rester que cinq petites minutes, le temps de ne rien dire et de répondre aux questions, sommaires elles aussi, de la pauvre Isabelle, qui n’est jamais plus pathétique que lorsqu’elle veut faire croire qu’elle connaît son sujet. Hélas, catastrophe et patatras, les autres collaborateurs de l’émission ont eu le mauvais goût de s’intéresser à ce que racontait Hector, ont voulu discuter avec lui, et le temps passait, au grand désarroi de la pauvre Isabelle, qui ne savait plus comment les arrêter ! Fallait la comprendre, la pauvre Isabelle, elle devait annoncer un groupe de musiciens qui commençaient à s’impatienter en coulisses, et ce fichu Obalk avait le culot d’empiéter sur les horaires du conducteur.

Ce fut à se tordre : n’y tenant plus face à l’écoulement inexorable du temps, la pauvre Isabelle interrompit toutes les discussions, poussa gentiment Hector vers la sortie avec sa conclusion habituelle (« Revenez quand vous voulez, à bientôt ! »), et lança en catastrophe ses musicos. Certes, vous me direz qu’une animatrice un peu plus motivée et surtout plus futée eut pris l’initiative de remettre la séquence musicale à la seconde partie de l’émission, après le bulletin d’informations de midi, mais non, la Terre aurait risqué de s’arrêter.

Il faudra un jour que le Vatican se décide à béatifier le conducteur.

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