Une affaire en or

Je sais bien qu’il y a des années où l’on ferait mieux de rester couché. Mais ne généralisons pas. Voici quelques mois, cheminant près de la Bourse, je rentrais paisiblement chez moi, en suivant une femme. Plus exactement, c’est elle qui marchait devant moi (je ne voudrais pas qu’on aille supposer n’importe quoi). Soudain, je la vis s’arrêter net, se pencher et ramasser quelque chose sur le trottoir. Elle sembla perplexe en examinant l’objet qui devait être extrêmement petit, puisqu’il tenait dans sa main. Au moment où j’arrivais sa hauteur, elle se tourna vers moi et me demanda si ce qu’elle avait trouvé était une bague en or. Je pris l’objet, y jetai un coup d’œil, et, bien que n’étant pas expert, je vis qu’en effet il était poinçonné comme le sont en général les objets faits de ce métal. Je le lui rendis et affirmai que, oui, c’était certainement une bague en or, qu’un passant distrait avait dû perdre sur le trottoir.

À ma surprise, au lieu d’être contente comme toute femme du modèle courant, elle me rendit la bague en ajoutant : « Vous pouvez la garder, je suis hollandaise et de religion baptiste, or ma religion m’interdit de posséder des bijoux ».

C’est ainsi que je rentrai chez moi, plus riche que j’en étais sorti, et possesseur d’une bague en or. J’en tirai la conclusion qu’il est faux de croire qu’on ne puisse pas faire d’affaires à la Bourse. Et que, pour une fois, la religion me rapportait quelque chose.

(NB : hélas, cette bague, je l’ai très rapidement égarée. J’ai dû, selon mon habitude, la poser n’importe où, et oublier ensuite où je l’avais mise. Avouez que, pour se faire offrir une bague en or par une femme inconnue, puis égarer le bijou, il faut être un authentique poète !)